sultans ou qu’ils semblaient faire, les membres de ce grand corps prenaient vers la civilisation européenne un mouvement vif et sincère.
Que devait faire l’Europe, que devait faire la France en face de ce mouvement des populations orientales ? Le décourager, le répudier, le contrarier, ou bien l’approuver, le modérer et le diriger ? C’est ce dernier parti que la France a pris, et quoiqu’à mon avis la France ait souvent trop modéré le mouvement des populations orientales, qu’elle se soit trop laissée aller à substituer les expédiens de la diplomatie aux dénoûmens que préparaient les événemens de l’Orient, cependant je suis heureux de penser que tous les gouvernemens français ont refusé de considérer comme un danger pour la politique européenne la régénération partielle et progressive des populations orientales. Que serait en effet la politique d’un état qui, pour conserver ou bien accroître sa grandeur, aurait besoin de l’anéantissement ou de la misère des autres ? J’ai souvent entendu dire que le grand mérite des Turcs, aux yeux de l’Europe, était de posséder inutilement le Bosphore. Qu’est-ce qu’ils ne possèdent pas inutilement, le Bosphore, la Thrace, la Macédoine, la Thessalie, l’Épire, les plus belles îles de l’Archipel, l’Asie-Mineure, la Syrie, la Judée, l’Euphrate et le Tigre, tous les anciens séjours de la civilisation, tous les territoires qu’ont possédés le commerce, les arts, les sciences ? Ce triste don qu’ont les Turcs de paralyser ce qu’ils touchent, est-ce un mérite dont l’Europe doive leur savoir gré ? Qu’y gagne-t-elle ? J’ajoute que les Turcs autrefois savaient au moins défendre ce qu’ils occupaient. Les pays qu’ils tenaient entre leurs mains étaient rayés de la liste du monde civilisé : grave malheur selon moi, mais malheur qui par sa stabilité dispensait la diplomatie européenne de toute appréhension, tandis qu’aujourd’hui la décadence des Turcs menace de laisser tomber quelqu’un de ces beaux pays entre les mains d’un voisin ambitieux, qui s’en fera un instrument et un moyen de puissance, si bien que l’équilibre européen n’a d’appui que la faiblesse de l’empire turc. Quand les populations orientales n’étaient que malheureuses sous un maître puissant, la diplomatie européenne prenait son parti de ne point s’en occuper ; c’était à la fois une nécessité et une commodité. Maintenant que ces populations sont malheureuses encore, mais sous un maître faible, et que par conséquent elles peuvent d’un jour à l’autre secouer ce joug par la révolte ou le voir passer en d’autres mains par la conquête, la diplomatie est bien forcée de s’en occuper. Subissant cette nécessité comme le reste de l’Europe, c’est l’honneur de la France et de quelques autres états de s’inquiéter de ces populations pour améliorer leur sort plutôt que pour les ramener