chrétien que comme vous le faites, c’est-à-dire du bout des lèvres ? Sa conversion ne fait rien à la question ni en bien m en mal ; c’est pour le sultan un déshonneur qui n’est pas un dénoûment, c’est-à-dire ce qu’il y a de pis.
D’où vient donc qu’en dépit de cette proposition étrange, qui semble le sujet de la brochure de M. Pitzipios, et qui n’en est, selon moi, que l’enseigne malheureuse et quasi-grotesque, d’où vient que cette brochure me paraît digne d’une sérieuse attention ? Je ne prends pas M. Pitzipios pour l’interprète et le représentant accrédité des Grecs sujets de la Porte-Ottomane ; pourtant il est Grec, il a été pendant quelque temps employé par la Porte, il connaît bien l’Orient, il sait quels sont les sentimens et les idées de ses compatriotes : il mérite donc d’être écouté comme témoin. M. Pitzipios ne veut faire de son souverain Abdul-Medjid un chrétien que parce qu’il veut donner aux chrétiens le pouvoir et la souveraineté en Orient. Voilà le sens sérieux de cet écrit : il exprime l’ambition naturelle des populations chrétiennes de l’Orient, qui, sentant leur force, veulent avoir un gouvernement et une administration pénétrés de leurs idées et de leurs sentimens.
Il y a aussi dans cette brochure, à côté de l’idée de la prépondérance chrétienne, une idée toute grecque, celle d’empêcher le morcellement du territoire ottoman et de substituer purement et simplement l’empire byzantin à l’empire turc. M. Pitzipios croit avec raison que, si l’empire turc vient à se démembrer, ce sera pour l’Orient, et même pour l’Occident, une grande et terrible secousse. Que sortira-t-il de ce chaos ? Personne ne peut le prévoir : grande raison pour le redouter et pour empêcher, s’il est possible, le chaos de se faire ! Le moyen, selon M. Pitzipios, est de remplacer l’empire turc par un empire chrétien, soit avec Abdul-Medjid converti, soit avec le roi Othon transporté d’Athènes à Byzance. De cette façon, le grand faisceau d’états que forme l’empire ottoman ne se disperse pas ; l’Orient n’est pas bouleversé, l’équilibre européen n’est point troublé, tout s’arrange. Je n’ai, quant à moi, aucune objection contre le plan de M. Pitzipios, sinon qu’il me paraît trop beau et trop commode. Les choses humaines ne se font pas en général de cette manière simple et aisée. Tout y est laborieux et difficile. Où M. Pitzipios ne voit que des facilités, je ne vois que des obstacles. Énumérons quelques-unes de ces difficultés, en ayant soin de mettre à côté les solutions de M. Pitzipios. Ce sera aussi une manière d’indiquer à nos lecteurs quelques-uns des détails et des renseignemens curieux que renferme l’ouvrage de M. Pitzipios.