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un moment de la conscience du sultan. Abdul-Medjid se convertira, comme Constantin, pour fonder un nouvel empire byzantin. Et qu’on ne dise pas qu’exiger du sultan qu’il renonce à sa foi, ce serait faire violence à sa conscience ; M. Pitzipios a réponse à cela. « L’objection, dit-il, serait de quelque valeur, si ce souverain avait vraiment la conviction de la religion dans laquelle il est né, ou si du moins il avait la prétention de paraître l’avoir ; mais tout le monde sait que, depuis longtemps déjà, Abdul-Medjid est tout à fait indifférent autant sur l’un que sur l’autre point. Ce souverain peut donc, en se proclamant chrétien par calcul politique et dans-les formes extérieures, rester, s’il veut, dans le fond, ce qu’il est aujourd’hui, ce que furent en tout temps une grande partie de ses collègues, ce qu’on suppose qu’a été enfin son illustre prédécesseur Constantin le Grand[1]. »

J’aurais bien des choses à dire sur la manière expéditive de M. Pitzipios en matière de conversion, sur son sans-façon à juger de la foi de Constantin ; je ne veux faire qu’une seule observation, toute politique, mais qui a aussi, grâce à Dieu, son application religieuse. De quoi s’agit-il pour M. Pitzipios ? De christianiser, c’est son expression, le gouvernement turc : c’est pour cela qu’il veut christianiser aussi le sultan ; mais, de bonne foi, que sera ce chrétien tout extérieur dont M. Pitzipios se contente ? Le christianisme ne consiste pas seulement à aller à l’église au lieu d’aller à la mosquée. La morale chrétienne repose sur des principes de charité, d’équité, de justice, qui sont devenus les fondemens de la civilisation moderne. Je ne dis pas qu’on ne puisse pas adopter et pratiquer ces principes sans être chrétien et même en étant mahométan. Or, si cela se peut, pourquoi imposer au sultan une conversion dont il n’a pas besoin et dont ses sujets non plus n’ont pas besoin pour avoir la pratique de la civilisation moderne ? Pourquoi exiger de lui une abjuration inutile, qui ne fait pas un chrétien sincère de plus, vous l’avouez vous-même, qui n’est pas nécessaire pour faire un bon souverain de plus, puisqu’on peut l’être sans cela, qui enfin est déshonorante, puisqu’elle est imposée, et que vous rendez plus misérable encore en permettant au néophyte l’hypocrisie ou l’indifférence ? Somme toute, les puissances européennes ont bien fait, en exigeant de la Turquie la christianisation de son gouvernement par le hatti-humayoun, de ne pas exiger du sultan sa conversion au christianisme. Mais que deviendra la christianisation du gouvernement turc, si le sultan n’est pas chrétien ? dit M. Pitzipios. — Eh ! que deviendra cette christianisation, si le sultan n’est

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