La société turque n’a jamais été un état ; c’était un camp, et un camp sans administration ni intendance militaires. Cela dit, quel ordre pouvait y exister ? Mais enfin, comme avant l’invention de l’intendance militaire il y a eu dans le monde des armées et des camps, la société turque a pu exister plus ou moins bien tant qu’elle a conservé son vieux régime : le jour où, après la destruction des janissaires, après la charte de Gulhané et après le hatti-humayoun de 1856, le vieux régime militaire de l’empire ottoman s’est trouvé détruit, il n’est plus rien resté, pas même l’ordre grossier des vieux bivouacs. Gengis-Khan et Tamerlan n’avaient pas de commissaires des guerres, cependant ils savaient faire vivre leurs armées ; ils n’avaient pas non plus de préfets ni de sous-préfets, cependant ils savaient gouverner leur empire. Les vieilles méthodes orientales, toutes dures et brutales qu’elles étaient, suffisaient aux mœurs et aux idées du moyen âge oriental. Tout cela a péri à Constantinople et n’a été remplacé que par des semblans d’administration européenne, si bien qu’entre un passé détruit sans retour et un avenir jusqu’ici impossible, il n’y a dans le gouvernement ottoman que le désordre et le vide. M. Pitzipios appelle cela le désordre personnifié. Il n’y a pas d’administration, mais il y a des administrateurs, c’est-à-dire des fonctionnaires qui n’ont de règles que leurs caprices et de but que leur fortune. Il n’y a pas de gouvernement, mais il y a des ministres.
M. Pitzipios se demande dans sa brochure ce qu’ont fait les ministres turcs depuis le traité de Paris : ont-ils gouverné, administré, réformé ? ont-ils essayé de mettre en pratique le hatti-humayoun ? Non : « ils ont perdu leur temps à tourner et à retourner les questions de l’île des Serpens, de la petite ville de Bolgrad, et surtout de l’union des principautés danubiennes, questions plus ou moins importantes pour les autres puissances, mais très secondaires pour l’empire du sultan, car ce n’est pas sans doute la possession par la Russie de l’île des Serpens et de Bolgrad qui a amené la dynastie du sultan à deux doigts de sa perte, ni l’adjonction de ces lopins de terre au territoire moldave qui la consolidera. Ce n’est pas non plus l’état de séparation où les principautés danubiennes se trouvent encore aujourd’hui qui a empêché les Turcs de subir toutes les humiliations qu’il a plu aux Russes de leur imposer[1]. »
M. Pitzipios a raison de réduire à leur juste valeur les questions qui ont tant préoccupé la Porte-Ottomane et dont elle a tant occupé l’Europe, comme si sa perte ou son salut en dépendait. Il n’y avait et il n’y a pour la Turquie qu’une seule question importante, c’est
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