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pas à quelqu’un en particulier. Mais pourquoi l’Orient ne s’appartiendrait-il pas à lui-même ? J’entends dire sans cesse : A qui donner l’Orient ? — L’Orient est-il donc désert ? n’a-t-il pas ses habitans et ses races ? Pourquoi donner l’Orient à d’autres que ceux qui l’ont ? Ils ne pourront, dit-on, ni le prendre aux Turcs, ni le garder. Qu’en savez-vous ? pourquoi déclarez-vous d’avance les populations chrétiennes de l’Orient incapables de faire un ou plusieurs états ? Qui vous a révélé qu’elles ne sauraient pas se gouverner ? Quel est cet empressement à demander des tutelles à exercer sans savoir s’il y a des mineurs ? Laissez grandir les races chrétiennes de l’Orient, laissez-les remplir leur destinée sans prétendre la faire. J’aime assurément mieux en Orient l’intervention universelle que l’intervention partielle ; mais ce que je préfère à tout, c’est la non-intervention universelle. Ce système est le seul qui jusqu’ici n’ait pas été essayé ; c’est celui, j’en suis persuadé, qui résoudrait le plus aisément la question d’Orient, en laissant les populations orientales la résoudre selon leurs intérêts et selon leurs sentimens. J’ai grande confiance en la diplomatie ; je doute cependant que la diplomatie résolve jamais la question d’Orient : j’ai plus confiance aux événemens, parce que derrière les événemens il y a la conscience et la force des peuples.

Je ne veux pas raconter ici tout ce que les populations chrétiennes de l’Orient ont fait seules et laissées à elles-mêmes ; je ne veux pas non plus exposer en détail tout ce que l’Occident, par son intervention, a empêché l’Orient de faire par lui-même. Je prendrai seulement quelques exemples.

Et d’abord, comment les chrétiens d’Orient se sont-ils relevés de leur long abaissement ? Qui leur a fait reprendre la place qu’ils tiennent maintenant en Orient et dans l’attention du monde civilisé ? La décadence de la Turquie y a beaucoup aidé ; mais cette décadence n’eût rien fait, si, en même temps que les Turcs déclinaient, les chrétiens ne s’étaient pas relevés. Les deux races se seraient affaissées à la fois, l’une sous le poids de sa grandeur perdue, l’autre sous le poids de sa misère continuée. Il n’en a pas été ainsi. M. Pitzipios fait un tableau intéressant de cette résurrection de la race grecque depuis soixante ans. Avant 1821, on peut dire sans exagération que les Grecs étaient en train de se substituer partout aux Turcs dans l’empire ottoman. Ils étaient dans la marine, dans l’industrie, dans le commerce, dans l’agriculture ; ils s’enrichissaient, ils s’instruisaient, ils prenaient une plus haute idée d’eux-mêmes et de leur avenir. Ç’aurait été l’intérêt de la race grecque, et surtout des Grecs de la Roumélie et de l’Asie-Mineure, que cet état de choses se prolongeât et s’affermît. La révolution grecque éclata et montra aux Turcs étonnés, effrayés, ce qu’étaient ces chrétiens