Et qu’on ne croie pas que ce dénoûment oriental entre le sultan et le pacha d’Égypte, en 1839, soit une conjecture rétrospective ; tout le monde à Constantinople s’y attendait au mois de juillet 1839, après la défaite de Nézib, la mort de Mahmoud et la défection de la flotte ottomane. Je trouve dans une lettre d’un voyageur français, écrite de Constantinople à ce moment curieux de l’histoire d’Orient, je trouve ces paroles : « Méhémet-Ali a pour lui l’ascendant de la victoire ; il a pour lui les chances que lui font la fatigue et l’impatience des populations musulmanes. Que sa flotte se présente aux Dardanelles avec la flotte du capitan-pacha, elles entreront toutes les deux sans effort, et viendront mouiller dans le port de Constantinople aux acclamations du peuple. Les Turcs salueront avec empressement l’apparition de quelque chose de fort qui soit mahométan. Ils sont si déshabitués des occasions d’avoir de la fierté à titre de mahométans, que quiconque leur rendra cette joie inespérée sera leur maître et leur dieu. Jugez de l’effet si, comme on le disait déjà parmi le peuple, Méhémet-Ali allait se présenter en personne à bord de son vaisseau-amiral. » Ainsi le dénoûment oriental de la question d’Orient à ce moment était prévu, attendu, espéré en Orient. Que fallait-il pour l’assurer ? Empêcher la Russie de s’en mêler, faire par conséquent en 1840 ce qu’on a été forcé de faire en 1854, c’est-à-dire empêcher la Russie d’accaparer les affaires d’Orient.
Tout ajourner, tout remettre en question, faire en sorte qu’il n’y ait jamais en Orient ni un vainqueur, ni un vaincu définitif, voilà quelle a été la politique orientale de l’Europe. Cette politique a-t-elle été heureuse ? Les difficultés éludées se sont-elles allégées ou aggravées ? L’histoire jugera.
Nous avons sous les yeux un autre exemple de ce penchant qu’a l’Europe de s’opposer aux dénoûmens orientaux, sans trouver elle-même un dénoûment occidental qui puisse être accepté : je veux parler des principautés. Je ne sais pas quel est le sort que leur réserve le congrès. Ce qui est certain, c’est qu’elles ne seront pas réunies. C’était pourtant leur vœu le plus ardent. Pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas voulu trancher la question ? La diversité des intérêts s’y oppose ; mais alors pourquoi ne pas laisser les principautés régler elles-mêmes leur destinée ? Les Roumains ont eu confiance aux bonnes intentions de l’Europe : ils ont eu foi dans l’efficacité des transactions diplomatiques ; ils ont, avec une sagesse qui méritait une autre récompense, renoncé à tout mouvement révolutionnaire. Qu’en est-il arrivé ? L’Europe diplomatique, là aussi, a mieux aimé ajourner la question que la décider, non pas à coup sûr pour soulager l’avenir, mais pour soulager le présent d’un embarras. Le diable n’y perdra rien : dans l’état actuel de l’Orient, toute difficulté éludée aujourd’hui est un danger demain, et une crise