après-demain. Supposez au contraire que l’Europe, adoptant ce système de non-intervention universelle que j’indiquais tout à l’heure, se fût entendue pour dire aux Roumains : « Arrangez vos affaires avec la Turquie comme vous le pourrez ; réglez-les et décidez-les même par la guerre, nous ne nous en mêlerons pas ; la Russie et l’Autriche ne s’en mêleront pas non plus. Vous aurez le sort que vous vous serez fait vous-mêmes. » Ce dénoûment oriental aurait, j’en suis convaincu, moins agité et moins préoccupé l’Europe que la longue incertitude de cette question. En voulant prendre partout en Orient le rôle de la Providence, l’Europe se charge d’un fardeau qu’elle ne pourra porter. Le rôle de spectatrice impartiale que je lui propose humblement est moins brillant, mais il est plus sûr. Il a sa gloire aussi, car il a ses difficultés, puisqu’il ne s’agit pas seulement de pratiquer l’impartialité, mais de l’imposer. Dans la question d’Orient, les puissances européennes se partagent en deux classes, — les intéressées à cause de leur voisinage, les impartiales à cause de leur éloignement. Le système de l’impartialité est assurément le meilleur pour l’Orient et pour l’Occident ; cependant les impartiaux auront beaucoup à faire pour le faire prévaloir sur le système de participation des intéressés. Les intéressés sont persuadés de cette vieille vérité, que la première condition pour gagner à un jeu quelconque, c’est d’y être. Ils veulent donc être au jeu en Orient. Les impartiaux au contraire doivent faire en sorte qu’il n’y ait personne au jeu en Orient que les Orientaux.
Le système de l’impartialité ou de la non-intervention n’a rien de nouveau ni de paradoxal. J’ose même dire qu’il est, à part la contradiction apparente des mots, le même que le système de l’intervention universelle. Où tout le monde intervient en effet, c’est comme si personne n’intervenait. L’intervention universelle exclut l’intervention particulière, parce que c’est cette intervention qui est dangereuse. Elle mène donc à la non-intervention universelle ou à l’impartialité ; elle en est la préface nécessaire. J’ajoute que le système de la non-intervention est le principe de la guerre d’Orient de 1854 et le résumé du traité de 1856. Qu’a voulu la guerre de 1854 ? Détruire en Orient la prépondérance de la Russie, assurer l’indépendance de l’Orient. Cela s’est appelé et s’appelle encore l’intégrité de l’empire ottoman ; mais si on veut y regarder de près, l’intégrité de l’empire ottoman ne veut pas dire autre chose en Europe que l’indépendance de l’Orient. C’est cette indépendance de l’Orient qu’il faut soutenir, défendre et pratiquer par l’impartialité de l’Occident.
SAINT-MARC GIRARDIN.