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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/141

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Peu de temps après son retour, M. Quinet vit éclater la révolution de 1830, et, persuadé comme il l’était que 1815 avait été l’abaissement moral du pays, il la salua comme une réparation. Il achevait de rédiger son voyage en Grèce au moment même où la vieille monarchie s’écroulait. Dans sa préface, datée du 24 septembre, il s’écrie avec allégresse : « En quelques jours, une nation se renouvelle. Le voyageur qui a quitté son pays dans le deuil le retrouve dans la joie. Il s’en va pour ne plus voir dans sa ville la rougeur sur le front de chaque homme qui passe. Et voilà qu’en revenant, tout chagrin qu’il ait pu être au départ, mieux que des rayons d’or sur un golfe d’azur, mieux que les cimes empourprées du Taygète, il aime nos fleuves embourbés et leur pâle soleil, le peuple dans ses carrefours, les tombes sur les places, et nos tours gothiques qui, comme les siècles passés de notre histoire, le saluent au retour du drapeau de Jemmapes. » Des brochures politiques, l’Allemagne et la Révolution, Avertissement à la monarchie de 1830, expriment vivement la fermentation d’idées et d’espérances provoquée chez lui par la victoire des trois jours. Il ne renonce pas, croyez-le bien, à ses projets de poésie. En même temps qu’il appelle avec impatience la réparation des outrages subis par nous en 1815, il médite en silence son épopée du genre humain. Quelle forme donnera-t-il aux rêves de son imagination ? Il le demande à la France et à l’Allemagne, il le demande surtout aux vieilles poésies du peuple, aux récits chevaleresques et nationaux du moyen âge, pensant avec raison que l’épopée des âges de réflexion et d’analyse est tenue de consacrer par un art supérieur les irrégulières ébauches des âges naïfs. Les chants primitifs de la Bohême, récemment retrouvés à Prague par M. Hanka, faisaient grand bruit en Allemagne ; M. Quinet les traduit, les commente, ici même, dans l’un des premiers numéros de cette Revue, qui venait de s’ouvrir aux travaux élevés de l’imagination et de la critique. Un rapport qu’il adresse au ministre de l’instruction publique sur les vieilles épopées françaises fut aussi une révélation littéraire. La plupart des idées produites par le hardi critique sont adoptées aujourd’hui par la science la plus sévère ; en 1831, elles étaient singulièrement aventureuses, et la vieille école s’en émut. Au moment où les champions un peu superficiels du romantisme se passionnaient pour le moyen âge sans le connaître, M. Quinet y découvrait des trésors de poésie, au grand scandale de la critique routinière[1]. Ces manifestes, on le pense

  1. Des savans même, et du premier ordre, repoussaient avec dédain ces innovations, qu’ils devaient accueillir plus tard et confirmer par de nouvelles recherches. M. Raynouard s’indignait qu’on pût voir des élémens celtiques dans les poèmes du cycle d’Arthur. M. Génin niait qu’il y eût des poèmes carlovingiens en vers de douze syllabes ; l’éditeur de la Chanson de Roland a prouvé depuis qu’il avait mieux étudié, sur les indications de M. Quinet, notre vieille littérature nationale. M. Quinet, en un mot, a donné la première impulsion à ce mouvement d’études qui a débrouillé nos origines poétiques. Il a précédé même dans cette voie le docte et ingénieux Fauriel, qui a été sur tant de points l’initiateur littéraire du XIXe siècle.