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est, avant toute chose, la direction de la vie intérieure, et quelle est donc, je vous prie, dans cd domaine des lois et des devoirs, la loi supérieure à l’Évangile ? M. Michelet s’écriait, il y a vingt-sept ans : « Oh ! dites-le-moi, si vous le savez, s’est-il élevé un autre autel ? » Et personne encore n’a répondu à ce cri de son âme. Or, d’après vos prémisses, tant que vous n’aurez pas répondu à la question de M. Michelet, il vous est interdit d’ébranler la loi du Christ. Toute cette discussion manque de précision et de netteté. Ou bien M. Quinet croyait encore que l’Évangile est supérieur à l’esprit de 89, et alors il oubliait son principe quand il essayait de mettre la révolution à la place du christianisme ; ou bien, s’il voyait dans la révolution une religion meilleure qui abolissait la religion de Jésus, il était tenu d’annoncer sans détour et de formuler sans phrases cette religion nouvelle.

Une chose me frappe dans ces leçons imprudemment éloquentes. Tandis que l’orateur, enivré de sa parole, croyait avoir établi une entière communauté dépensées entre son auditoire et lui, tandis qu’il se transformait en prêtre et qu’il appelait ses fidèles à une sorte de communion générale, son auditoire ne le comprenait plus. L’union n’était qu’à la surface ; au fond, les dissentimens les plus graves séparaient le pasteur et le troupeau. On parlait bien la même langue, seulement chacun l’interprétait à sa guise. Si l’on se fût entendu, ce beau concert serait devenu bien vite un tumulte discordant. Les plus belles paroles de M. Quinet, ce qui venait du fond de son cœur et à quoi il tenait le plus était précisément ce que la masse de l’auditoire n’approuvait pas. Au contraire, ses luttes avec l’église, ses lieux-communs de polémique, en un mot la partie inférieure de son œuvre voilà ce qui excitait surtout les bravos de l’assemblée ; Lisez sa dernière leçon sur l’idéal de la démocratie : quels élans de spiritualisme ! Quelle condamnation du matérialisme, du socialisme, de toutes les convoitises grossières de nos jours ! L’âme patricienne et presque sacerdotale de M. Quinet reparaît ici tout entière. Quant aux auditeurs qui s’enthousiasmaient de parti-pris, ils étaient tout étonnés, en y réfléchissant mieux, d’avoir applaudi un programme si chrétien. Quelques-uns, plus avisés, protestaient par leur silence. On peut lire là-dessus de très curieux détails dans un livré de M. Arnold Ruge, intitulé Deux Années à Paris. M. Arnold Ruge était venu à Paris, comme M. Charles Grün, le maître de philosophie de M. Proudhon, pour y étudier le travail souterrain de la démocratie : les leçons de M. Quinet étaient bien loin de répondre à son attente. Plus pénétrant que le jeune public de M. Quinet, plus exercé du moins à la dialectique révolutionnaire, le chef de la gauche hégélienne avait bien senti chez l’orateur ce