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Un dimanche de printemps, par une magnifique journée, après avoir exploré en tout sens le mont Pincio, la plus belle promenade de Rome et peut-être du monde entier, je rentrais à la ville fatigué, mécontent, ennuyé. Je passai par la place du Triton, et après avoir tourné à droite, au carrefour des Quatre-Fontaines, je me dirigeai vers le Quirinal. Le luxe des promeneurs et des équipages, les élégantes toilettes des femmes n’attiraient nullement mon attention. Il faisait encore jour ; mais le soleil, tout étincelant, allait bientôt cacher ses rayons d’or derrière les pins et les cyprès du mont Mario. Ne sachant où diriger mes pas, j’entrai, poussé par une voix intérieure, dans l’église des Sacramentale, qui forme le coin de la place du Monte-Cavallo. En face s’élèvent le palais du pape et les deux magnifiques statues monumentales qui représentent, l’une Castor, l’autre Pollux, domptant leurs chevaux. L’église, faiblement éclairée, était entièrement tendue de draperies. Des chants qui avaient quelque chose de céleste et de profondément attendrissant s’élevaient derrière la grille en fer qui se trouve des deux côtés du maître-autel. C’étaient les voix des adoratrices perpétuelles du Saint-Sacrement, religieuses qui ont pour règle de tenir continuellement exposé à la vénération des fidèles le symbole le plus élevé de la religion catholique. Je m’approchai de l’endroit d’où partaient ces chants vraiment angéliques, et là, au milieu de la foule, je m’agenouillai, adressant à Dieu la plus ardente prière que j’aie jamais faite. D’abondantes larmes inondaient mes joues ; quelque chose d’inspiré partait de mon cœur et passait par mes lèvres. Je priai Dieu d’avoir pitié de ma douleur, de me faire connaître sa volonté, de me donner la force de surmonter l’espèce de prostration où je me trouvais. Au même moment, je vis une feuille blanche voltiger dans l’air et effleurer en tombant le prie-Dieu près duquel je me tenais. C’était une petite image qui venait de se détacher du livre de prières d’une dame élégamment mise qui s’était placée à côté de moi, mais de manière à me tourner le dos. Je m’empressai de ramasser l’image et de la rendre à cette dame, qui se retourna pour la réclamer. C’était la jeune fille que je cherchais depuis si longtemps.

Elle me reconnut, ou, pour mieux dire, nous nous reconnûmes. Je fus sur le point de retirer la main et de garder la précieuse petite gravure qui avait été la cause d’une si extraordinaire rencontre ; mais ma jolie voisine sembla étonnée de ma réticence, et je m’exécutai courageusement. La sainteté du lieu, la solennité du moment, m’émurent ; je maîtrisai mon émotion et fis semblant de continuer ma prière. Ce contact, quoique indirect, avec celle que j’aimais me réveilla comme d’un profond sommeil ; je me levai et je me retirai