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La promenade surtout avait pour moi des charmes tout particuliers, grâce au magnifique panorama qui se déroule devant le château Saint-Ange. Du sommet, où se trouve une espèce de plateforme, on découvre toute la ville, coupée en deux par le Tibre : à droite, le Vatican ; en face et à gauche, le Colysée, le Panthéon, le Capitole ; enfin, derrière la ville, toute la campagne romaine, Tivoli, Frascati, les Apennins, et ces mille paysages si artistement perchés sur la cime ou si coquettement nichés dans les flancs des collines suburbaines. Les jours de grandes solennités religieuses, j’échangeais volontiers ma chambre contre une des cellules pratiquées tout au sommet de la forteresse, près d’une chapelle appelée du nom significatif de Sanctus-Michael inter nubes. J’étais là comme le démon sous les pieds de l’ange. Je ne me lassais pas de contempler la foule bigarrée qui se pressait sous les murs du château, et j’éprouvais une sorte de joie mélancolique à comparer ce mouvement lointain avec le calme profond de ma retraite aérienne.

Malgré ces momens de distractions, j’étais accablé par l’ennui et le désespoir. Je ne pouvais me consoler d’être séparé de Séraphine ; je ne savais à quel expédient recourir pour la voir. Voici ce qui fut imaginé. J’avais à Rome une tante dont la fille était à peu près de la taille de Séraphine. Mon père, s’autorisant de leur titre de parentés, demanda à venir me voir avec elles, ce qui lui fut accordé non sans beaucoup de difficultés. Néanmoins plusieurs visites semblables se succédèrent, et, grâce à quelques protections, ma tante et ma cousine obtinrent d’avoir une entrevue avec moi tous les quinze jours. On devine le reste : Séraphine remplaça ma cousine, et de la sorte deux fois par mois je pouvais passer quelques instans en compagnie de ma tante et de ma fiancée. Peu à peu les employés du château s’habituèrent à la présence de ces deux femmes. Le gouverneur m’accorda même la permission de me faire accompagner par elles à la chapelle du château, où elles eurent des places réservées. Notre mutuelle passion redoubla d’ardeur ; mais, malgré la violence de mon enivrement, nos entretiens restèrent toujours chastes. Une fois seulement, profitant de l’absence momentanée de ma tante, j’embrassai Séraphine avant qu’elle pût s’y opposer. Le lendemain, je reçus d’elle une lettre où elle me disait : « Charles, tu as voulu être vainqueur ! tu as poussé avec violence tes lèvres contre mes lèvres ; tu as abusé de ta force et de ma faiblesse… Maintenant, si par malheur je ne devais pas être à toi, si le destin nous séparait encore et pour jamais, tu m’aurais tuée toi-même, tu m’aurais livrée vivante à la mort. Ta haine alors aurait mieux valu pour moi que ton amour ! » A partir de ce moment, je ne me permis plus avec Séraphine la moindre familiarité. En attendant,