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champs de mûriers deviennent plus rares ; on aperçoit un plus grand nombre de rizières et des cultures de céréales. Les plantations de thé reparaissent sur le flanc des collines, et au-dessus d’elles, sur les sommets, s’agitent des forêts de bambous, dont les coupes vont approvisionner de grandes fabriques de papier. La plaine qui s’étend des bords de la rivière au pied des montagnes est parsemée de petits lacs, de mares ou d’étangs séparés les uns des autres par des remparts de terre qui paraissent avoir été élevés de la main des hommes, et, contrairement à ce que l’on voit d’ordinaire en Chine, il y a là d’assez vastes espaces qui sont enlevés à la culture. M. Fortune ne saisit point d’abord les motifs ni le but de ces terrassemens qui donnaient à cette partie de la grande vallée du Yang-tse-kiang un aspect singulier. Il dut, pour en obtenir l’explication, s’adresser à un savant du pays qui lui fit connaître que la construction de ces nombreuses digues de terre remontait à plusieurs centaines d’années, et qu’elle avait pour objet de préserver le pays contre les inondations. Le flot de la marée remontant jusqu’à Mei-chi, il était indispensable de fournir un écoulement et d’opposer des obstacles aux eaux de la rivière, afin de prévenir les inondations à l’époque des grandes crues ; de là ces lacs artificiels et ces montagnes de terre qui couvraient la plaine. Les Chinois, on le sait, ont été de tout temps très experts dans les travaux hydrauliques ; leurs canaux et l’endiguement de leurs fleuves forment un ensemble d’œuvres vraiment gigantesques, qui, au point de vue de la conception et de l’exécution, ont excité l’admiration des voyageurs. Cette science leur a été d’ailleurs, en quelque sorte, imposée par la configuration du territoire ; avec d’immenses fleuves qui roulent à travers un pays plat un abondant volume d’eau, momentanément arrêté dans son cours aux points où le flux de la mer se fait sentir, les inondations sont souvent à craindre : les annales du Céleste-Empire ont conservé le souvenir des désastres causés, à différentes périodes, par les débordemens du fleuve Yang-tse-kiang, qui traverse les plus fertiles provinces. On a signalé, pendant ces dernières années, de grandes inondations qui ont englouti des villages entiers, et produit, par la famine et les épidémies, une effrayante mortalité. Il est probable que la plupart des travaux d’art ou plutôt de salut élevés sous le règne des anciennes dynasties sont aujourd’hui mal entretenus ou délaissés par une administration qui n’a même plus les ressources nécessaires pour assurer l’ordre intérieur. C’est un grave sujet de mécontentement pour les populations, et surtout pour les fermiers, qui, mal protégés par leurs digues séculaires, se voient fréquemment à la merci des fleuves et à deux doigts de la ruine. Peut-être est-il réservé à la science européenne, pénétrant enfin dans ces