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bout de plusieurs semaines seulement, il reçut, par l’entremise de ce fonctionnaire, une somme de 35 dollars. Mi Fortune paraît convaincu que les mandarins ont gardé le reste, ce qui tendrait à prouver qu’en Chine les mandarins seraient moins honnêtes que les voleurs.

Nous laisserons ici M. Fortune emballer ses collections et ses plantes et faire ses préparatifs de départ pour l’Europe. À en juger par les témoignages officiels qu’il a recueillis, son troisième voyage en Chine n’a pas été moins utile au progrès des sciences naturelles que ne l’ont été ses précédentes missions Il a rapporté de curieux insectes pour le Muséum, des plants de thé pour l’Himalaya, de nouvelles et gracieuses fleurs pour nos jardins ; il a concouru par ses infatigables recherches à la découverte de substances destinées à prendre place dans les travaux de l’industrie. Citons par exemple l’indigo vert, qui a déjà occupé les manufacturiers ainsi que les savans, et auquel M. Natalis-Rondot, ancien membre de l’ambassade française en Chine, a consacré un remarquable mémoire, récemment imprimé par les soins de la chambre de commerce de Lyon[1]. M. Fortune figurera avec honneur parmi les missionnaires de la science qui se sont voués à l’étude, si neuve et si intéressante, des régions de l’extrême Orient ; mais il est un autre point par lequel ses récits le recommandent à notre estime et notre sympathie. Cet ingénieux botaniste sait étudier les hommes aussi bien que les plantes, et, ayant vécu pendant plusieurs années au milieu des Chinois, dans leurs cités et dans leurs campagnes, ayant été accueilli, fêté, guéri et même volé par eux, il peut les juger et les analyser jusque dans les traits les plus intimes et les plus familiers de leur caractère et de leurs mœurs.

On a vu, par les épisodes qui viennent d’être détachés de sa relation, que son opinion sur la nation chinoise ne s’accorde guère avec celle qui a été exprimée par la plupart des voyageurs. Il le reconnaît lui-même, et il insiste sur cette dissidence. Les Chinois ne sont pas ce que pense une certaine variété de touristes plus soucieux du pittoresque que du vrai, et plus désireux d’égayer leurs lecteurs que de les éclairer. Ils composent une grande et honnête famille, qui a été longtemps un grand peuple. L’heure de la décadence est venue pour eux, soit qu’à la fin le poids de leur antiquité les écrase, soit que, par suite d’un malaise intérieur dont il nous, est difficile de nous rendre compte, leur gouvernement et leur administration soient : tombés dans le mépris et dans l’impuissance. On a signalé des mandarins concussionnaires et ineptes, on a décrit la vile populace de

  1. Notice sur le vert de Chine et sur la teinture en vert chez les Chinois, 1858.