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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/218

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Nous arriverions ainsi le plus commodément du monde, si, avant de quitter le bateau qui porte M. Fortune, nous n’avions à raconter un petit incident survenu devant le village de Nanziang à quelques milles de Shang-haï. C’est une histoire de voleurs, épisode nécessaire dans tout récit de voyage.

M. Fortune était donc, une nuit, à l’ancre devant Nanziang, et il dormait, lorsque soudain il fut réveillé par les cris de son domestique qui lui annonça, tout effaré, que des voleurs étaient venus à bord et avaient fait main-basse sur les bagages. Il se leva aussitôt et voulut s’habiller : ses vêtemens avaient disparu. Il chercha sa malle, une grosse malle de voyageur, de botaniste, de collectionneur et d’Anglais : la malle n’y était plus. Et cependant on n’était pas entré dans sa cabine ; il n’avait rien vu, rien entendu. Comment avait-on pu s’y prendre ? On découvrit plus tard que les voleurs avaient tout simplement scié du dehors les bordages autour de la petite fenêtre de la cabine, de manière à pratiquer une ouverture assez large pour y faire glisser la malle. M. Fortune était désespéré : il perdait d’un seul coup ses hardes, son argent, ses collections, ses manuscrits ; c’était un naufrage complet, et si près du port ! Il ordonnai ses bateliers de se poster à terre dans un buisson de hautes herbes et d’arrêter tout individu qui viendrait rôder de ce côté ; peut-être ainsi saisirait-on l’un des voleurs ; puis il se recoucha. Au bout d’une heure, deux individus se présentèrent sur la rive, et l’un d’eux se mit à héler le bateau. « Venez prendre, s’écria-t-il, la malle et les habits du diable blanc ; vous les trouverez ici. » Et les deux hommes s’en allèrent tranquillement. M. Fortune se hâta de débarquer, et il trouva en effet à la place indiquée sa malle encore pleine, moins une centaine de dollars qui avaient été très adroitement retirés du sac. Honnêtes voleurs ! On s’explique qu’ils se soient abstenus de conserver les vêtemens et les collections, qui les auraient trop aisément trahis ; mais alors ils pouvaient, après avoir pris l’argent, jeter la malle à l’eau. On ne saurait donc méconnaître la délicatesse, bien rare en pareil cas, de leurs procédés. — Au point du jour, M. Fortune put s’habiller décemment, grâce à la générosité de ses voleurs, et il se rendit chez le mandarin de Nan-ziang, auquel il conta l’aventure et porta plainte en réclamant la restitution de son argent. Le mandarin s’indigna très fort, prescrivit d’urgence une enquête, et mit toute sa police en campagne. Le soir même, un des voleurs était arrêté, et recevait une correction de coups de bambou. Le lendemain, arrestation d’un second voleur, et le bruit courait dans le public que les dollars étaient retrouvés ; mais, le mandarin ne disant mot à ce sujet, M. Fortune partit pour Shang-haï en annonçant qu’il allait faire son rapport au consul. Au