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— Mais quel accent avait-il ?

— Le professeur Goffredi ne s’était jamais occupé que de langues mortes ; sa femme, très instruite aussi, connaissait beaucoup de langues vivantes : pourtant il lui fut impossible de dire à quelle nationalité on devait attribuer l’accent de l’homme masqué.

— Et le petit Juif, qu’en pensait-il ?

— S’il en pensait quelque chose, il ne l’a jamais voulu dire.

— Vos parens étaient bien certains qu’il n’avait pas joué lui-même le rôle de l’homme masqué ?

— Très certains. L’homme masqué était d’une taille ordinaire, et le Juif n’avait pas cinq pieds de haut. La voix, l’accent, n’avaient rien d’analogue. Je vois, monsieur Goefle, que, comme mes pauvres Goffredi, vous vous posez toute sorte de questions sur mon compte ; mais qu’importe la solution, je vous le demande ?

— Oui, au fait, qu’importe ? répondit M. Goefle. Vous ne valez peut-être pas la peine que je me donne depuis une heure pour vous faire retrouver votre famille. Allons, c’est une préoccupation qui tient aux habitudes de ma profession ; n’en parlons plus, d’autant que dans tout ce que vous m’avez dit il n’y a pas le moindre fait précis sur lequel on pût baser un échafaudage de déductions savantes et ingénieuses. Pourtant attendez. Que fit-on de la somme apportée par l’homme masqué ?

— Mes braves parens, s’imaginant que ce pouvait être le prix d’un rapt, d’un crime quelconque, et jugeant que cela ne pouvait me porter bonheur, s’empressèrent de déposer toutes ces pièces étrangères dans le tronc des pauvres de la cathédrale de Pérouse.

— Mais vous parliez déjà, vous l’avez dit, une langue quelconque quand vous fûtes amené là ?

— Sans doute, mais je l’oubliai vite, n’ayant plus personne à qui la parler. Je sais seulement qu’à un an de là, un savant allemand qui était en visite chez nous chercha à éclaircir le mystère. J’eus beaucoup de peine à retrouver quelques mots de mon ancienne langue. Le linguiste déclara que c’était un dialecte du Nord et quelque chose qui ressemblait à de l’islandais ; mais ma chevelure noire démentait un peu cette version. On renonça à savoir la vérité. Le désir de ma mère adoptive était de me faire perdre tout souvenir d’une autre patrie et d’une autre famille. Vous pensez bien qu’elle n’eut pas de peine à y parvenir.

— Encore une question, dit M. Goefle. Je ne m’intéresse à un récit qu’autant que j’en saisis bien le point de départ. Ces souvenirs qui s’effacèrent naturellement, et que d’ailleurs on s’efforça de vous faire perdre, il ne vous en reste absolument rien ?

— Il m’en reste quelque chose de si vague, que je ne saurais le