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condamnés à des regrets communs, ils ne se doivent plus aujourd’hui qu’une mutuelle indulgence. Quant aux ennemis, quant à ceux qui après avoir compromis l’ordre ont trahi la liberté, ils se sont dévoilés eux-mêmes ; et n’ont que trop justifié la sinistre prophétie de l’adresse de 1848. Tandis que les deux partis se rejetaient ainsi l’un à l’autre la responsabilité d’un naufrage imminent, un membre inconnu de la chambre monta à la tribune. Le nouveau-venu, avant de prononcer une parole, avait déjà saisi l’attention de l’assemblée par la franchise et la bonhomie de son allure provinciale. Dès qu’il eut ouvert la bouche, il se fit écouter, succès peu facile, par des auditeurs qui presque tous ignoraient son nom. Il exposa avec un sans-façon rustique, avec un bon sens incisif, avec une verve originale, les sentimens du parti conservateur. Les membres de la majorité tremblaient parfois d’être compromis par la hardiesse de ce champion inattendu, tandis que ses coups de boutoir arrachaient à l’opposition des exclamations de surprise. Il y eut un moment où, exprimant par une honnête bravade toute la force de sa conviction, l’orateur s’écria : « Quant à moi, je suis un conservateur endurci. » Ce fut le mot, l’événement et le succès du jour. On se demandait de toutes parts, quand il descendit de la tribune, le nom du député qui venait de prononcer un maiden-speech d’une si verte saveur. C’était M. Devienne. Le premier président de la cour impériale de Paris ne doit point avoir oublié cette journée : il la compte sans doute comme une des meilleures de sa vie. L’impression qu’il produisit sur nous fut si vive qu’il nous semble le voir et l’entendre encore. C’est en libéraux endurcis que nous applaudissions à ce conservateur endurci, car en défendant l’ordre nous entendions, comme lui, sauver et conserver la liberté.

Les premiers actes de M. Delangle relativement à la presse sont déjà un encouragement qui mérite d’être constaté. Le nouveau ministre a levé l’interdit qui fermait notre frontière à un journal étranger, il a rendu la vente sur la voie publique à plusieurs journaux français auxquels elle avait été récemment retirée. Si l’on rapprochait de ces actes le langage remarqué que tient depuis plusieurs jours une feuille dévouée au gouvernement, on serait peut-être autorisé à espérer mieux encore des tendances libérales qui pointent à l’horizon, nous faisons allusion aux articles de la Patrie. La polémique de ce journal, pourquoi ne l’avouerions-nous pas ? s’élève depuis quelque temps au-dessus de la vulgaire et vide monotonie à laquelle, faute d’indépendance d’esprit ou de talent, se condamnent les autres journaux qui voudraient passer pour les organes officieux ou les défenseurs de la pensée gouvernementale. Nous ne nous entendrions point sans doute avec la Pairie sur la façon dont elle pose certaines questions, mais nous croyons devoir signaler le léger souffle de libéralisme et de générosité que respirent quelques-uns de ses articles. Nous avons été frappés surtout des considérations qu’elle a présentées récemment sur les conditions et le caractère de la responsabilité politique suivant l’esprit de la constitution qui nous régit. La constitution du 15 janvier 1852 ne crée qu’une responsabilité politique dans l’état et dans le pays, — celle du chef du pouvoir, — et c’est dans l’opinion publique bien plus que dans le parlement que la constitution a transporté la véritable sanction de la responsabilité constitutionnelle. La Patrie voit un progrès