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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/278

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je vis que la Providence nous réunissait, eux et moi, pour notre salut commun. Sur-le-champ j’organisai à moi seul une représentation dans le village, et je gagnai un ducat, à la grande stupéfaction de Puffo, lequel, à partir de ce moment, m’abandonna le théâtre, les acteurs et le soin de sa propre destinée.

« N’avais-je pas été vraiment protégé par le ciel ? n’avais-je pas retrouvé le seul moyen de continuer mes voyages avec aisance, sans rien devoir à personne et sans livrer mon nom et ma figure aux caprices du public ? En peu de jours, toutes les marionnettes furent repassées au ciseau, nettoyées, repeintes, habillées de neuf, et bien rangées dans une boîte commode et portative. Le théâtre fut également restauré et agrandi pour deux operanti. Je pris Puffo à mon service en le chargeant de l’entretien, du rangement et de la garde de l’établissement, en même temps que d’une partie du transport sur ses fortes épaules, ainsi qu’il en avait l’habitude, car je voulais plus que jamais consacrer Jean au service de la science et lui faire porter mon bagage de naturaliste.

« Puffo est certainement un pauvre compère. Il a l’esprit lourd, mais il ne reste jamais court, vu qu’il a le don de pouvoir parler sans rien dire. Il a un mauvais accent dans toutes les langues, mais il se fait comprendre en plusieurs pays, et c’est un grand point. Voilà pourquoi je l’ai gardé. Je dialogue peu avec lui, mais j’ai réussi à le déshabituer des gros mots. Je lui confie les scènes populaires, qui sont comme des intermèdes pour me reposer quelques instans. Quand j’ai trois ou quatre personnages en scène, je tire parti de ses mains et fais parler tous les interlocuteurs avec assez d’adresse pour que l’on croie entendre plusieurs voix différentes. Enfin, monsieur Goefle, vous m’avez vu à l’œuvre et vous savez que j’amuse. Néanmoins nous ne fîmes pas grand’chose en Allemagne, et l’idée me vint qu’en Pologne mes affaires iraient mieux. Les Polonais ont l’esprit français et le goût italien. Nous traversâmes donc la Pologne, et c’est à Dantzig que nous nous sommes, au bout de six semaines de voyages et de succès, embarqués pour Stockholm, où notre recette a été fructueuse. C’est là que j’ai reçu l’invitation du baron de Waldemora, invitation que j’ai acceptée avec plaisir, puisqu’elle me mettait à même de voir le pays qui jusqu’ici m’a le plus intéressé. C’est vers le nord que se sont toujours portées mes aspirations, soit à cause des grands contrastes qu’il devait offrir à un habitant du midi, soit par un instinct patriotique qui se serait fait sentir à moi dès l’enfance. Il n’y a pourtant rien de moins certain que cette origine boréale attribuée à mon langage altéré, bégayé ou à demi oublié, par le savant philologue dont je vous ai parlé : n’importe, rêve ou pressentiment, j’ai toujours vu en imagination le