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romantique pays que j’ai maintenant devant les yeux, et je me fis une fête d’allonger mon chemin pour venir ici, c’est-à-dire de traverser le Malarn et de descendre jusqu’au Wettern pour explorer toute la région des grands lacs.

« Mais il était écrit que les accidens me poursuivraient. Puffo, qui a engraissé depuis qu’il est nourri par moi, et qui commence à reculer devant la fatigue, voulut suivre, dans un traîneau de louage, ce mystérieux lac Wettern, dont les profondeurs semblent troublées par des éjaculations volcaniques. La glace rompit et noya mes habits, mon linge et mon argent. Heureusement Puffo était à pied dans ce moment-là et put se sauver avec le conducteur du traîneau, qui y perdit sa voiture et son cheval. Heureusement aussi j’avais suivi la rive avec Jean, le théâtre, les acteurs et mon bagage scientifique. Donc, grâce au ciel, tout n’est pas perdu, et demain je me remets en fonds, puisque demain je donne une représentation à prix fait dans le château de l’homme de neige. »

— Eh bien ! dit M. Goefle en serrant de nouveau la main de Christian Waldo, votre histoire m’a intéressé et diverti ; je ne sais pas si vous l’avez racontée avec agrément, mais votre manière de causer vite en trottant par la chambre, votre gesticulation italienne et votre figure de je ne sais quel pays, expressive et heureuse à coup sûr, m’ont attaché à votre récit. Je vois en vous un bon esprit et un excellent cœur, et les torts que vous vous reprochez me paraissent bien peu de chose au prix des égaremens où vous eussiez pu tomber, jeté si jeune dans le monde, sans guide, sans avoir, et avec une jolie figure, instrument de perdition pour les deux sexes dans un monde aussi corrompu que le monde de Paris et de Naples…

— Est-ce à dire, monsieur Goefle, que celui des états du Nord soit plus moral et plus pur ? Je ne demande pas mieux que de le croire ; pourtant ce que j’ai observé à Stockholm…

— Hélas ! mon cher enfant, si vous jugez de nous par les intrigues, la vanité, la violence et l’infâme vénalité de notre noblesse actuelle, tant bonnets que chapeaux, vous devez nous croire la dernière nation de l’univers ; mais vous vous tromperiez, car dans le fait nous sommes un bon peuple, et il ne faudrait qu’une révolution ou une guerre sérieuse pour faire remonter à la surface les grandes qualités, les parcelles d’or pur qui sont tombées au fond. En ce moment, vous ne voyez de nous que l’écume… Mais parlons de vous ; vous ne m’avez pas expliqué votre existence à Stockholm. Comment se fait-il que, dans ce pays d’intrigue et de méfiance, vous ayez pu vivre sous le masque et ne pas être inquiété par les trois ou quatre polices qui travaillent pour les différens partis ?

— C’est que je ne vis pas sous le masque, vous le voyez bien, monsieur Goefle ; cela serait fort gênant, et, dès que je suis à cent