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à se le reprocher, et il demanda d’un ton brusque à Christian s’il croyait aux apparitions.

— Oui, aux hallucinations, répondit Christian sans hésiter.

— Ah ! vous en avez eu quelquefois ?

— Quelquefois, dans la fièvre ou sous l’empire d’une forte préoccupation. Elles étaient alors moins complètes que dans la fièvre, et je me rendais compte de l’illusion ; cependant ces visions étaient assez frappantes pour me troubler beaucoup.

— C’est cela, c’est justement cela, s’écria M. Goefle. Eh bien ! figurez-vous, … mais je vous conterai cela ce soir ; je n’ai pas le temps. Je sors, mon cher ami, je me rends chez le baron ; peut-être me retiendra-t-il pour le dîner, qui se sert à deux heures. En tout cas, je reviendrai le plus tôt possible. Ah ! écoutez, rendez-moi un service en mon absence.

— Deux, trois, si vous voulez, monsieur Goefle. De quoi s’agit-il ?

— De lever mon valet de chambre.

— De l’éveiller ?

— Non, non ! de le lever, de l’habiller, de lui boutonner ses guêtres, de l’enfoncer dans sa culotte, qui est fort étroite, et qu’il n’a pas la force…

— Ah ! j’entends ! un vieux serviteur, un ami, malade, infirme ?

— Non ! pas précisément. Tenez ! le voilà. Miracle ! il s’est levé tout seul ! C’est bien cela, maître Nils ! Comment donc ? Vous vous formez ! Vous voilà déjà debout à midi ? et vous vous êtes habillé vous-même ? N’êtes-vous point trop fatigué ?

— Non, monsieur Goefle, répondit l’enfant d’un air de triomphe ; j’ai très bien boutonné mes guêtres, voyez !

— Un peu de travers ; mais enfin c’est toujours ça, et à présent vous allez vous reposer jusqu’à la nuit, n’est-ce pas ?

— Oh ! non, monsieur Goefle ; je vais manger, car j’ai grand’faim, et voilà une grande heure au moins que ça m’empêche de bien dormir.

— Vous voyez ! dit M. Goefle à Christian ; voilà le serviteur que ma gouvernante m’a procuré ! À présent je vous laisse à ses soins. Faites-vous obéir, si vous pouvez. Moi, j’y ai renoncé pour mon compte. Allons, Ulf, passe devant, je te suis ; qu’y a-t-il encore ? qu’est-ce que cela ?

— C’est, répondit Ulphilas, dont les idées suivaient la marche ascendante des rayons du soleil, une lettre que j’avais dans ma poche depuis tantôt, et que j’avais oublié…

— De me remettre ? C’est trop juste ! Vous voyez, Christian, comme on est bien servi au Stollborg !

M. Goefle ouvrit la missive, et lut ce qui suit, en s’interrompant