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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/284

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à chaque phrase pour faire ses réflexions en français : « Mon cher avocat… » Je connais cette écriture… Ah ! c’est la comtesse d’Elveda, la grande coquette, le parti russe en jupons ! … « Je désire vous voir la première. Je sais que le baron vous attend à midi. Ayez l’obligeance de venir du Stollborg un peu plus tôt et de vous rendre à mon appartement, où j’ai des choses sérieuses à vous communiquer. » Des choses sérieuses ! Quelque niaise malice, noire comme le charbon, et visible par conséquent à l’œil nu, comme le charbon sur la neige ! Ma foi, il est trop tard ; l’heure est passée.

— Certainement l’heure est passée, observa Christian, et ce que l’on veut vous dire ne vaut pas la peine d’être écouté.

— Ah ! ah ! vous savez donc de quoi il s’agit ?

— Parfaitement, et je vais vous le dire tout de suite, sans craindre que vous vous prêtiez à un désir aussi laid que saugrenu. La comtesse veut marier sa gentille nièce Marguerite avec le vieux et funèbre baron Olaüs.

— Mais je le sais bien, et je me suis ouvertement moqué de ce beau projet-là. Marier le joli mois de mai avec le pâle décembre ? Il faut être aussi bonnet blanc que le pic de Sylfiallet pour avoir de pareilles idées !

— Ah ! j’en étais bien sûr ; n’est-ce pas, monsieur Goefle, que c’est odieux de vouloir ainsi sacrifier Marguerite ?

— Oui-dà ! Marguerite ? Ah çà ! vous êtes donc très lié, vous, avec Marguerite ?

— Fort peu ; seulement je l’ai vue, elle est charmante.

— On le dit ; mais la comtesse, d’où diable la connaissez-vous, et comment savez-vous ses projets intimes ?

— C’est encore une histoire à vous raconter, si vous avez le temps…

— Hé non ! je ne l’ai pas ; … mais il y a là un post-scriptum que je ne voyais pas, … et que je comprends encore moins. « J’ai à vous faire compliment de la bonne tournure et de l’esprit de votre neveu… » Mon neveu ! Je n’ai pas de neveu ! Est-ce qu’elle est folle, la comtesse ? « Pourtant cet esprit lui a fait défaut d’une fâcheuse manière, et son algarade mérite bien que vous lui laviez rudement la tête ! … Nous parlerons de cela, et je tâcherai de réparer ses folies, j’aurais bien envie de dire ses sottises ! … » Son algarade, ses sottises ! … Il paraît qu’il en fait de belles, monsieur mon neveu ! Mais où diable prendrai-je ce gaillard-là pour lui laver la tête ?

— Hélas ! monsieur Goefle, vous n’irez guère loin, dit Christian d’un ton piteux. Comment ne devinez-vous pas que, si j’ai pu m’introduire sans masque dans le bal de cette nuit, ce n’est certainement point le nom de Christian Waldo qui aurait pu m’ouvrir la porte.