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— Parbleu ! j’y songe bien, répondit Christian ; mais que pouvais-je faire sans toi ? Il est bien temps que tu daignes reparaître ! Où diable as-tu passé depuis hier ?

Puffo raconta sans s’excuser qu’il avait fini par trouver bon souper et bon gîte à la ferme, qu’il avait dormi tard, et que, s’étant lié avec un laquais du château qui se trouvait là, il avait fait savoir à tout le monde l’arrivée de Christian Waldo au Stollborg. Après son déjeuner, le majordome du château l’avait fait venir. Il lui avait parlé très honnêtement, en lui annonçant qu’à huit heures précises du soir on comptait sur la pièce de marionnettes. M. le majordome avait ajouté : — Tu diras à ton patron Christian que M. le baron désire beaucoup de gaieté, et qu’il le prie d’avoir infiniment d’esprit !

— C’est cela ! dit Christian. De l’esprit par ordre de M. le baron ! Eh bien ! qu’il prenne garde que je n’en aie trop ! Mais dis-moi, Puffo, n’as-tu pas ouï dire que le baron était malade ?

— Oui, il l’était cette nuit, à ce qu’il paraît, répondit le bateleur ; mais il n’y pense plus. Il se sera peut-être grisé, quoique ses laquais disent qu’il ne boive pas ; mais croyez ça, qu’un homme si riche se prive l’estomac de ce qu’il a dans sa cave !

— Et toi, Puffo, je gage que tu ne t’es pas privé de ce qui est tombé sous ta main ?

— Ma foi, dit-il, grâce au laquais qui a son amoureuse à la ferme et qui m’a invité à sa table, j’ai bu d’assez bonne eau-de-vie, c’est de l’eau-de-vie de grain, un peu rude, mais ça réchauffe ; aussi ai-je bien dormi après…

— Je suis charmé de ton aubaine, maître Puffo, mais il faudrait songer à notre ouvrage ; va d’abord voir si Jean n’a ni faim ni soif, et puis tu reviendras prendre mes instructions. Dépêche-toi !

Puffo sortit, et Christian se mettait en devoir, non sans soupirer un peu, de fermer sa boîte de minéraux pour ouvrir celle des burattini, lorsque les grelots d’un équipage le firent regarder à la fenêtre. Ce n’était pas le docteur en droit qui revenait si tôt, c’était le joli traîneau azur et argent qui, la veille au soir, avait amené Marguerite au Stollborg.

Faut-il avouer que Christian avait oublié la promesse faite par cette aimable fille à l’apocryphe M. Goefle de revenir le lendemain dans la journée ? La vérité est que Christian, en raison des événemens survenus au bal, n’avait plus compté sur la possibilité de cette visite, et qu’il n’en avait nullement averti le véritable Goefle. Peut-être regardait-il l’aventure comme inévitablement terminée, peut-être même désirait-il qu’elle le fût, car où pouvait-elle le conduire, à moins qu’il ne fût homme à abuser de l’inexpérience d’un enfant, sauf à emporter son mépris et ses malédictions ?

Pourtant le traîneau approchait ; il montait le talus, et Christian