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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/290

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Quand il eut fait ce mensonge et servi le second repas de son oncle, il allait se retirer, lorsque celui-ci lui demanda une certaine Bible qu’il consultait rarement et qui était rangée sur un rayon particulier de sa bibliothèque. Stenson la fit placer devant lui sur la table, et fit signe à Ulf de se retirer ; mais celui-ci, curieux des intentions de son oncle, rouvrit la porte un instant après, bien certain de n’être pas entendu, et, debout derrière le fauteuil du vieillard, il le vit passer, comme au hasard, un couteau entre les feuillets du gros livre, l’ouvrir et regarder attentivement le verset sur lequel la pointe du couteau s’était arrêtée. Il répéta trois fois cette épreuve, sorte de pratique à la fois dévote et cabalistique usitée même chez les catholiques du Nord, pour demander à Dieu le secret de l’avenir d’après l’interprétation des paroles indiquées par le destin ; puis Stenson mit sa tête dans ses mains sur le livre fermé, comme pour le consulter avec son cerveau après l’avoir interrogé avec ses yeux, et Ulf se retira assez inquiet du résultat de l’expérience. Il avait lu les trois versets par-dessus la tête de son oncle. Les voici dans l’ordre où ils avaient été marqués par le hasard :

« … Le gouffre et la mort disent : Nous avons entendu parler d’elle ! »

« … Ne pleurais-je point pour l’amour de celui qui a passé de mauvais jours ? »

« Les richesses du pécheur sont réservées au juste. »

Les versets détachés de ce livre mystérieux et sublime ont presque tous la faculté de se prêter à tous les sens que l’imagination leur demande. Aussi le vieux Sten, après avoir frissonné au premier et joint les mains au second, avait-il respiré, comme une âme soulagée, au troisième ; mais Ulphilas avait trop bu la veille pour interpréter convenablement les décisions du saint livre. Il se demanda cependant avec angoisse si la vieille Bible n’avait pas trahi à son oncle, sous une forme allégorique au-dessus de son intelligence, le secret de son mensonge.

Il fut distrait de ses rêveries par l’apparition d’un nouvel hôte dans le préau : c’était Puffo, qui venait se concerter avec Christian pour la représentation du soir. Puffo n’était pas démonstratif ; il n’aimait pas la campagne en hiver, et n’entendait pas un mot de dalécarlien. Cependant il se trouvait d’assez bonne humeur en ce moment, et pour cause. Il dit bonjour à Ulf d’un air presque amical, tandis que celui-ci, stupéfait, le regardait entrer sans façons, comme chez lui, dans la chambre de l’ourse.

Puffo trouva Christian occupé à classer ses échantillons minéralogiques dans sa boîte. — Eh bien ! patron, à quoi songez-vous ? lui dit-il. Il ne s’agit pas de s’amuser avec des petits cailloux, mais de préparer tout pour la pièce de ce soir.