Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rer ou le bénir, et en lui présentant avec un tremblement convulsif sa branche de cyprès comme une palme offerte en hommage à quelque divinité.

— Voyons, mon brave homme, lui dit Christian en élevant la voix et en s’approchant pour le relever, je ne suis pas le bon Dieu, je ne suis même pas le bon ange de Noël qui entre par les fenêtres ou descend par les cheminées ; levez-vous !… je suis…

Mais Christian s’arrêta en voyant une pâleur livide se répandre sur la figure déjà si blême du vieillard. Il comprit qu’il lui causait un effroi mortel, et il s’éloigna pour lui donner le temps de se ranimer. Stenson en effet se remit un peu, mais tout juste assez pour songer à fuir. Il se traîna un instant sur ses genoux, se releva avec effort, et sortit par la chambre à coucher, en murmurant des paroles sans suite et qui ne présentaient aucun sens. Le jugeant en proie à un accès de démence, effet de l’âge ou d’une dévotion exaltée, Christian s’abstint de le suivre dans la crainte de l’achever, et, ramassant la palme que le vieillard avait laissé tomber à ses pieds, il lut, sur une petite bande de parchemin qui s’y trouvait attachée, ces trois versets de la Bible écrits d’une main encore assez ferme :

« Le gouffre et la mort ont dit : Nous avons entendu parler d’elle !… »

« Ne pleurais-je point pour l’amour de celui qui a passé de mauvais jours ?… »

« Les richesses du pécheur sont réservées au juste… »

L’imagination de Christian n’eut pas le loisir de trotter longtemps à la poursuite de cette énigme. Le jour marchait vite. À une heure et demie après midi, les ombres transparentes des cimes neigeuses s’allongeaient déjà sur la surface bleuie du lac. C’était un beau spectacle, et que Christian eût aimé à contempler sans préoccupation. Ces courtes journées du Nord ont des aspects infiniment pittoresques, et même en plein jour les choses y sont à l’effet, comme disent les peintres, c’est-à-dire qu’en raison de l’obliquité des rayons solaires, elles baignent dans la lumière et dans l’ombre, comme chez nous aux heures du matin et du soir. C’est là probablement le secret de cette beauté de la lumière dont les voyageurs dans les climats septentrionaux parlent avec enthousiasme. Ce ne sont pas seulement les sites extraordinaires, les cascades impétueuses, les lacs immenses et les splendeurs des aurores boréales qui leur laissent de si enivrans souvenirs de la Suède et de la Norvége ; c’est, disent-ils, cette clarté délicieuse où les moindres objets prennent un éclat et un charme dont rien ailleurs ne saurait donner l’idée.

Mais notre héros, tout en se rendant compte de la beauté du ciel, remarquait la décroissance du jour, et voyait de loin les apprêts de