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la fête dont il était en partie responsable. Les cheminées du château neuf envoyaient d’épaisses spirales de fumée noire sur les nuages de nacre rose. Des coups de fusil, répétés par les sourds échos des neiges, annonçaient les efforts des chasseurs pour alimenter les broches de ces âtres pantagruéliques. On voyait courir en tout sens, sur d’agiles patins, des messagers affairés, se croisant et se culbutant quelquefois sur la glace du petit lac. On faisait main-basse sur toutes les ressources du pays, depuis la bûche monstrueuse qui devait figurer dans chaque salle du manoir jusqu’à la pauvre perdrix blanche qui croyait, grâce à sa robe d’hiver, échapper à l’œil sagace de l’homme et au flair impitoyable du chien de chasse.

On apprêtait donc une splendide cinquième nuit de Noël (car on était au 28 décembre), et Christian seul ne s’apprêtait pas. Il s’impatientait de ne pas voir revenir Puffo. Après s’être recostumé en pauvre diable et avoir enfoui sa belle figure dans sa plantureuse chevelure ramenée en avant, tandis que son chapeau pointu s’enfonçait sur ses yeux, il alla chercher son valet dans le préau, dans le gaard, et jusque dans la cuisine, où la veille il avait tant effrayé Ulphilas. Il oublia d’aller jusque dans la cave ; c’est là qu’il eût trouvé Puffo en possession du paradis de ses rêves.

Christian allait revenir sur ses pas, lorsque l’idée lui vint d’aller explorer le petit verger de maître Stenson. Il y jeta préalablement un regard, et, s’étant assuré que le vieux majordome auquel sa présence avait causé tant d’alarme n’y était pas, il descendit l’allée rapide qui conduisait au niveau du lac. De là il pouvait voir tout le côté du gaard qui plongeait en talus sur le fond de la petite anse. La vieille maçonnerie était si bien liée au rocher, qu’on distinguait peu la fortification naturelle de celle qui était faite de main d’homme, revêtue d’ailleurs de longues chevelures de plantes pariétaires, toutes cristallisées dans le givre et trempant dans le lac, où elles étaient fortement prises dans la glace. Parvenu en cet endroit, Christian essaya de se rendre compte de ce qui lui était arrivé la veille, lorsqu’il avait voulu explorer le passage secret de la chambre de l’ourse. Nous avons promis au lecteur de le lui raconter, et le moment est venu de le faire.

On se souvient que, pour aller à la recherche d’un souper quelconque, il s’était aventuré dans ce passage, qui, masqué par une porte très bien jointe à la boiserie, partait du dessous de l’escalier, et qu’il croyait devoir aboutir au logement de M. Stenson. Il n’en était cependant rien. Christian, après quelques pas dans un couloir étroit, avait trouvé un petit escalier rapide et encombré de gravois, sur lequel, depuis longtemps, il ne semblait pas qu’on eût marché. Au bas de cet escalier très profond, il avait rencontré une porte ouverte. Étonné de trouver libre un passage qui paraissait si mys-