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entendu des maîtres assignent à leur pouvoir redoutable des limites qui sont respectées par la plupart d’entre eux. — Nous ne contesterons point cette assertion ; il suffit d’entrevoir ce qui arrive quand des hommes moins scrupuleux dépassent ces limites, pour trembler devant les conséquences d’un pareil régime. Le nombre des maîtres qui se rendent coupables de honteux excès fût-il restreint, l’institution ne serait pas plus facile à défendre. — Aujourd’hui le résultat de la grande réforme que l’empereur Alexandre II vient d’entamer est de nature à inspirer confiance, car l’idée morale, on va le voir, prescrit d’une façon impérieuse ce que conseille l’intérêt même de la production économique.


III. — CONSEQUENCES MORALES DU SERVAGE EN RUSSIE.

Pour se faire une idée exacte de la situation des paysans russes et des conséquences morales du servage, il faut parcourir rapidement les divisions principales qui distinguent la population asservie[1].

Le statisticien russe Köppen a évalué en 1847 à 26 millions, le nombre des individus du sexe masculin qui peuplent la Russie. La proportion des paysans non libres s’élevait, selon lui, à 22,500,000, c’est-à-dire à 86 1/2 pour 100 de l’ensemble de la population masculine. Il comptait, d’après les rôles d’imposition dressés pour chaque gouvernement en 1834, 7,938,955 paysans, 126,337 colonistes, dans les domaines de l’état, et adoptait les chiffres suivans pour le reste de la population masculine des cultivateurs :


âmes
1° Paysans libres 74,844 âmes
Odnodvortsy (en allemand Einhœfler, possesseurs d’une petite ferme) 1,365,883
3° Paysans attachés aux terrains possédés par les odnodvortsy 10,978
4° Paysans de la poste [jemtschicki) 41,696
5° Paysans des forêts (lachmany) 115,235
6° Paysans des apanages 790,987
7° Serfs attachés aux biens-fonds des particuliers 10,796,461
Total 13,100,034 âmes.

Les paysans libres sont d’anciens serfs affranchis et dotés en même temps d’une certaine portion de terrains, ou qui en ont fait l’acquisition par achat. L’empereur Alexandre Ier fit paraître en 1803 le règlement en vertu duquel cette émancipation individuelle peut conduire à l’acquisition de la propriété. Le progrès est lent, puisque sur tant de millions d’hommes, et après plus d’un demi-siècle,

  1. les essais de réforme de l’empereur Nicolas n’ont point introduit de modification essentielle sous ce rapport.