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dans le dos me tourmente beaucoup. — Benjamin s’arrêta dans l’espérance qu’il allait attirer immédiatement le fermier sur le terrain de sa maladie, sans avoir besoin d’entamer la question plus directement.

« — Ah ! ah ! oui, je vois, tu n’es plus aussi ingambe qu’autrefois, répondit le fermier en levant le loquet de sa porte ; nous ne sommes plus ni l’un ni l’autre aussi jeunes que nous l’étions, malheureusement pour nous.

« La chaumière du fermier ressemblait à celle de nos paysans aisés. Un étroit foyer avec deux bancs, un petit tapis devant l’âtre, un vieux fusil et une paire d’éperons sur le manteau de la cheminée, un buffet avec des rayons sur lesquels étaient rangées des faïences et de la vaisselle d’étain, une vieille table en noyer, quelques chaises et escabeaux ; quelques vieilles estampes encadrées, une petite bibliothèque avec une demi-douzaine de volumes, un râtelier attaché au plafond, garni de pans de lard et autres provisions, composaient la meilleure partie de son ameublement. On ne voyait dans cette demeure aucun signe d’art occulte, à moins qu’on ne prît pour tel les paquets d’herbes séchées suspendus au râtelier et à la cheminée, ou les fioles étiquetées rangées sur un des rayons du buffet.

« Tom joua avec quelques chats accroupis dans les cendres du foyer, et avec un bouc qui se promenait gravement devant la porte, pendant que Benjamin et le fermier mettaient le couvert. Pendant le dîner, auquel Tom fit honneur par son appétit, ils parlèrent de leurs vieux camarades d’autrefois, Miltons ignorés de la vallée, depuis longtemps muets, et de faits qui s’étaient passés il y avait trente ans, toutes choses auxquelles, il ne prêta pas beaucoup d’attention, sauf au moment où ils parlèrent de la construction du canal, et lui apprirent, à son grand étonnement, que ce cher canal, qui l’émerveillait tant, n’avait pas toujours existé, que même il n’était pas aussi vieux que Benjamin et le fermier Ives, révélation qui mit sa petite cervelle dans une singulière émotion.

« Après le dîner, Benjamin appela l’attention du fermier sur une verrue que Tom avait à la main, et que le médecin de la famille, avec toute sa science, n’avait pu guérir, en le priant de lui donner un charme pour la faire partir. Le fermier regarda, marmotta quelques paroles, fit quelques entailles dans une petite verge qu’il donna à Benjamin en lui recommandant de la couper à certains jours déterminés, et en avertissant Tom de ne pas toucher à sa verrue pendant une quinzaine. Puis ils sortirent et s’assirent sur un banc pour fumer leurs pipes. Les cochons s’approchèrent, grognant d’une manière sociale, et laissant Tom les piquer, les égratigner à son aise. Le fermier, remarquant combien Tom aimait les animaux, se leva, étendit les bras, et donna un coup de sifflet qui amena une foule de pigeons tournant et volant parmi les bouleaux. Ils descendirent en grappes sur les bras et les épaules du fermier, roucoulant d’aise et d’amitié, et sautillant sur le dos les uns des autres pour atteindre jusqu’à sa tête. Il leur fit signe pour les congédier, et ils se mirent à voleter dans les alentours ; il rouvrit de nouveau les bras, et ils accoururent de nouveau vers lui. Tous les animaux de cette habitation étaient pleins de propreté et de confiance, et différaient entièrement de leurs confrères des environs. Tom, émerveillé, demanda au fermier comment il fallait s’y prendre pour rendre dociles les cochons et