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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/380

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se briser ici. Le docteur Arnold, chrétien sévère et éclairé, conscience pleine de scrupules, consentait bien à accepter le système anglais en matière d’éducation ; cependant il faisait ses réserves. La brutalité des mœurs l’effrayait ; il lui semblait que les énergies juvéniles devaient être secrètement guidées, et qu’on devait toujours placer devant elles un but moral. D’elles-mêmes ces énergies allaient où les poussait la violence de l’humeur et du tempérament, et cependant on ne devait pas les comprimer, de crainte de détruire en germe la virilité du caractère. Qu’y avait-il donc à faire ? Tout simplement à utiliser les énergies au profit d’un but moral. Je ne sais si, comme on le lui a reproché, le docteur Arnold poussait un peu trop loin les conséquences de ce principe, mais le principe était excellent. Voici un enfant, élevé dans une famille pieuse, qui a toujours vécu aux côtés d’une mère tendre, dont la sensibilité a été raffinée de trop bonne heure par la sollicitude maternelle, d’un tempérament faible et féminin, d’une âme studieuse et contemplative : il est certain qu’étant données les mœurs d’une école publique anglaise, toutes ses qualités lui seront autant de sources de souffrances. Sans doute on ne peut pour un seul enfant changer toutes les règles du collège ; n’y a-t-il pourtant rien à faire ? L’école serait bien déshéritée, s’il ne s’y trouvait pas quelque vaillant petit Tom à qui confier la protection d’un tel enfant. L’activité et même la turbulence de Tom Brown trouveront ici leur emploi. L’enfant est trop faible pour prendre part aux jeux énergiques de ses camarades, et cependant sa santé exigerait des exercices physiques modérés. Quoique frêle, pourquoi serait-il exclu de toute société et de tout plaisir ? N’y a-t-il pas là le petit naturaliste Martin qu’il peut escorter dans ses promenades scientifiques, qui lui apprendra à chasser les papillons, à surprendre les lézards dans leurs trous, et même à grimper aux arbres ? Le séjour d’une école anglaise peut donc être sain et agréable, même pour un enfant d’organisation frêle et délicate. Cela ne tient qu’au degré de sagacité du directeur et au degré d’ardeur qu’il apporte dans ses fonctions.

Un jour donc, après les vacances, en revenant de la maison paternelle, Tom fut invité, honneur insigne, à prendre le thé chez le docteur. Là, il se trouva en présence d’un petit garçon d’apparence chétive et frêle, d’une physionomie timide et rêveuse : c’était le fils d’un clergyman, mort dans une épidémie récente pour être resté trop fidèle à son devoir. L’enfant n’était, jamais sorti de la maison paternelle, avait vécu sous l’aile de sa mère, et n’avait connu d’autres compagnons de jeux que ses sœurs. Il avait donc été délicatement élevé ; il était même, dans la bonne et morale acception du mot, un enfant gâté ; on le voyait bien aux jolis petits bonnets que