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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/388

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cour[1], — c’était le nom qu’on donnait au chancelier, au colonel-major et aux aides-de-camp choisis par le général, — n’entendait raillerie sur ces questions.

Si l’on veut se faire une juste idée de la pompe dont s’environnait le provéditeur-général, il faut se transporter par la pensée dans la ville de Corfou, afin d’y assister à l’installation du dernier de ces fonctionnaires qui ait représenté Venise sur la terre ionienne. On est au mois de juillet 1794. Chacun attend avec impatience M. Widman, qui s’est fait une réputation d’équité de nature à rassurer les Ioniens, fort mécontens de la rapacité de son prédécesseur. Une foule immense se presse sur le port. Les classes supérieures sont habillées, à la française, mais le peuple corfiote a conservé le costume hellénique. Les hommes placent sur leurs longs cheveux tressés un bonnet de laine rouge ; ils ont un court gilet de toile[2] avec un double rang de boutons d’argent, une culotte très large, une ceinture de soie ou de laine rouge, et des souliers ornés d’énormes boucles d’argent. Un long poignard passé dans la ceinture n’est pas une vaine parure. La moustache qui orne la lèvre supérieure des Corfiotes donne à leur visage brun un air singulièrement martial. Les femmes, presque toutes gracieuses ou jolies, nattent leurs cheveux comme les hommes, mais elles les laissent pendre sous le vaste mouchoir blanc qui enveloppe à la fois leur tête et leurs épaules. Elles ont un corset serré et un jupon dont la couleur n’est jamais la même que celle du corset. Les talons de leurs souliers sont fort hauts. Ce costume subit dans chaque village des modifications plus ou moins importantes. Les personnes âgées s’enveloppent dans une longue capote grise. Les nouvelles mariées portent par-dessus leur corset une camisole de drap d’or très plissée, fixée sur les reins par une ceinture de larges galons, fermée sur le devant par deux plaques en vermeil, et dont les bouts pendans sur le côté se terminent par de gros cœurs également en argent doré. Les paysannes qui n’ont pas adopté les hauts talons suspendent à leur cou de grandes croix d’argent et de vermeil. Leur voile, plié en quatre, et dont les pans flottent avec leurs cheveux tressés, est retenu par une épingle d’argent. Toutes portent sur l’estomac une sorte de cuirasse bombée, faite de baleines ou de minces bandes de fer et recouverte d’une étoffe plus ou moins riche. Celles qui n’ont pas de voile roulent leur tresse derrière la tête et l’assujettissent par une forte épingle d’argent, qui ressemble à°une petite épée. Quelques femmes de Zante, habituées à une vie de réclusion, se mêlent timidement à la foule. Un loup de velours noir, garni de dentelles,

  1. La carte.
  2. En hiver, ce gilet était de drap ou de velours, et garni de fourrures.