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gne, le Portugal, l’Italie méridionale et les républiques hispano-américaines. Aussi méprisa-t-elle plus d’une fois les foudres de Rome[1], et couvrit-elle de sa puissante protection l’immortel historien du concile de Trente. Fra Paolo Sarpi put braver au sein des lagunes les excommunications et les poignards.

Il ne faut donc pas s’étonner si Venise suivit aux Iles-Ioniennes une autre ligne que Charles d’Anjou. Le frère de Louis IX, qui devait sa couronne de Naples à la papauté, avait établi à Corfou la hiérarchie romaine lorsqu’il s’empara de cette île. D’accord avec le pape, il avait supprimé la métropole orthodoxe et remplacé le métropolitain par un prélat de sa communion. Il n’avait consenti qu’avec peine à permettre aux Corfiotes d’élire un protopapa. Les Vénitiens conservèrent, il est vrai, cette organisation vicieuse, mais n’usèrent point de leur pouvoir pour imposer aux insulaires l’autorité du pape, qui a toujours été souverainement antipathique aux populations helléniques. S’il ne semble pas extraordinaire à la majorité des peuples néo-latins qu’un fils d’Adam jouisse du privilège divin de l’infaillibilité, ce dogme paraît aussi inconcevable aux Hellènes que la quadrature du cercle. Quiconque ne se rendra pas compte de cette disposition de leur intelligence ne comprendra jamais un seul mot de leur histoire. L’aristocratie vénitienne, dont l’esprit politique ne saurait être contesté, se garda bien de vouloir imposer à ses sujets ioniens les idées italiennes. L’archevêque romain de Corfou fut traité avec les plus grands égards. Son installation était presque aussi solennelle que celle du provéditeur-général. Les troupes devaient lui rendre les honneurs militaires, lorsqu’il passait avec son cortège (in forma publica) devant un corps-de-garde; mais le prélat, comme les évêques de France, était toujours « sujet, » et on ne lui laissait faire aucun mouvement contraire aux intérêts de l’état. Quand le chapitre de la cathédrale, composé de dix chanoines, nommait ses trois syndics ou administrateurs du revenu des confréries, on ne lui permettait pas d’exclure les Ioniens de l’église orientale. Les syndics de cette église recevaient à leur banc les mêmes honneurs que les catholiques. On leur donnait l’encens et on leur présentait l’Évangile à baiser. De leur côté, ils entendaient sans scrupule la messe catholique, après avoir pris toutefois la précaution d’assister à la liturgie (messe) dans une église orthodoxe.

Le général, non moins tolérant que les syndics, jouait un rôle important dans la fête de saint Spiridion, que les habitans de Corfou célébraient avec une pompe extraordinaire et qui durait huit jours. En 1456, George Calocheretti, fuyant Constantinople envahie par les

  1. Voyez Sarpi, Histoire de l’Interdit, Venise 1606.