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Turcs, vint à Corfou avec les reliques de sainte Théodora, impératrice de Byzance, et de saint Spiridion. Spiridion né dans l’île de Chypre, avait vécu dans cette période démocratique de l’église où un paysan pouvait encore devenir chef d’une communauté chrétienne. Il gardait ses moutons lorsqu’on le fit évêque de Trémante, et il se signala à Nicée par son zèle contre les partisans d’Arius. Philippe, fils de George Calocheretti, ayant marié sa fille à un noble corfiote, Stamati Bulgari, lui donna en dot le corps de saint Spiridion, qui resta, dans l’église qu’on lui bâtit sur l’esplanade, la propriété de la famille Bulgari. Ces détails sembleront étranges à un habitant de Zurich ou d’Édimbourg, ils ne surprendront pas ceux qui savent l’importance extrême que les Orientaux attachent aux reliques.

Huit jours avant la fête du bienheureux évêque, on ornait de branches de myrte et de laurier les portes, les fenêtres et le clocher de l’église de Saint-Spiridion. Aux quatre coins de la balustrade de ce clocher, on dressait de longues perches où flottaient les pavillons de Saint-Marc, de la Russie et de la Grande-Bretagne, et d’une quatrième puissance, celle que désignaient les convenances du jour ; toutefois on ne choisissait jamais l’étendard fleurdelisé. Pendant l’octave qui précédait la solennité, les cloches ne cessaient de remplir la ville d’une rumeur assourdissante. La veille de la fête, au son des cloches de toutes les églises et au bruit du canon, on exposait à la vénération des fidèles la chasse d’ébène où le saint était debout, revêtu de ses habits pontificaux. Le gouvernement venait assister en corps à cette cérémonie tumultueuse. Pendant trois jours et trois nuits, soixante soldats avaient peine à contenir l’enthousiasme des fidèles. J’ai pu voir moi-même à Troïtza, en Russie, à quelles folles démonstrations l’enthousiasme propre aux fidèles de l’église orientale peut emporter les multitudes. La fête se terminait par une procession. La châsse, portée par six papas (prêtres), était surmontée d’un dais soutenu alternativement par le général, le provéditeur, capitaine de la forteresse, le baile et les syndics de la ville. La musique de son excellence et sa livrée marchaient devant le dais. Une partie de la garnison accompagnait le cortège. Quand la procession arrivait à la Forteresse-Vieille, toutes les batteries la saluaient de vingt et un coups de canon. Lorsqu’elle se montrait sur les remparts baignés par la mer, les vaisseaux de guerre pavoises lâchaient leur bordée. Les galères et les galiotes de l’armata suttile sortaient du port et longeaient la rive pour l’escorter. Il serait difficile de donner une idée de la magnificence de ce spectacle. Les Ioniens, en le contemplant et en voyant l’étendard de Saint-Marc protéger leurs pompes religieuses, perdaient un instant le sentiment de leurs souffrances. Aujourd’hui encore la tolérance de Venise, sa bienveillance pour les Hellènes proscrits par les Turcs et qui se réfugiaient dans