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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/398

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l’un qui portait le titre de straordinario, et l’autre que l’on nommait ordinario. Céphalonie, Cérigo et Zante avaient chacune un provéditeur. On a souvent parlé avec sévérité des abus trop communs encore parmi les habitans de Zante ; mais, dans ces appréciations rigoureuses, on a oublié de faire la part des autorités envoyées par Venise, qui n’ont rien épargné pour démoraliser les insulaires. La soif honteuse de richesses qui les dévorait leur suggérait des vexations inconnues parmi les peuples les plus barbares. Je ne crois rien exagérer en qualifiant ainsi les postichii. Le provéditeur remettait aux paysans, « à titre de secours, » une certaine quantité de sequins, ordinairement empruntés aux Juifs de Venise, auxquels les fonctionnaires devaient presque tout leur luxe. Au bout d’un an, ils étaient obligés de rendre le double de la somme prêtée. S’ils ne pouvaient s’acquitter l’année suivante, ils étaient forcés de restituer le triple, et ainsi de suite. Ajoutons que le campagnard devait payer en nature et que le provéditeur ou ses agens fixaient eux-mêmes le prix des objets de la manière la plus arbitraire. De tels excès produisent nécessairement la haine et la violence. Plus d’une fois les paysans se soulevèrent contre des maîtres impitoyables. Si les émeutes étaient fréquentes, les assassinats étaient quotidiens. Les caractères vindicatifs, assurés de pouvoir acheter l’impunité avec une petite somme, saisissaient sans scrupule la première occasion favorable de se défaire d’un ennemi, ou payaient quelque bravo pour le tuer[1]. Il était si facile à un bon gouvernement d’empêcher de pareils scandales que, toutes les fois qu’un provéditeur préféra l’accomplissement de ses devoirs à ses intérêts, le poignard tomba des mains des assassins, et le peuple prouva, par son calme et par sa reconnaissance enthousiaste, que les « nations de la terre, — c’est une belle parole de la Bible, — sont créées guérissables. »


II

Tolérance pour l’église nationale et en même temps défiance de tout ce qui pouvait réveiller la vie politique et intellectuelle, exploitation cupide et souvent violente des richesses de l’Ionie et du travail des insulaires, telle était donc la politique de Venise dans les Sept-lles à la veille du jour où de mémorables événemens devaient enlever ces territoires à sa domination. C’est en 1797 que les Français entrèrent dans Venise et mirent fin à l’existence d’une république dont la gloire incontestable fait partie du patrimoine de la

  1. Dans un ouvrage publié au commencement du siècle par Castellan sous le titre de Lettres sur la Morée et sur les îles de Cérigo, Hydra et Zante, une gravure intitulée Costume des habitans de Zante représente deux bravi armés du poignard qu’une femme s’efforce de séparer.