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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/400

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les hommes qui au XVIIIe siècle l’ont appelée à jouer un rôle si éclatant n’ont pas su se préserver des entraînemens de la conquête, ni des illusions qui ont jusqu’à présent empêché les Français d’acquérir en Orient une influence digne de la haute position qu’ils occupent dans le monde.

Dans l’Europe orientale, les questions politiques sont toujours subordonnées aux convictions religieuses. Or la religion y est représentée principalement par l’église orthodoxe, par l’église romaine et par l’islamisme. Les rois « très chrétiens » ont perpétuellement hésité entre l’alliance des padishahs et les principes des « fils aînés » de Rome. Alliés des sultans, ils devenaient odieux aux chrétiens ; protecteurs du catholicisme, ils n’étaient pas moins suspects à des peuples qui ont pour l’autocratie de « l’évêque de Rome » autant d’antipathie que pour la domination des maîtres de Stamboul. La république française semblait appelée à répudier ces traditions impolitiques. Elle devait, avant tout, considérer le christianisme orthodoxe comme la sauvegarde des nationalités orientales et comme une doctrine conforme par ses tendances au symbole social qu’elle avait la prétention de faire triompher, puisque c’est à l’Évangile que la société moderne doit toutes ses libertés. L’islamisme, religion essentiellement fataliste et despotique, qui sanctionne la servitude dans la famille et dans l’état, ne méritait en rien ses sympathies. Malheureusement les républicains de 1797 étaient, comme beaucoup de nos contemporains, dupes des apparences rationnelles du système mahométan. Un dogme peu compliqué, une liturgie très simple, un vif sentiment de l’égalité, donnent à l’islam un air de philosophie qui trompe les esprits superficiels. On oublie trop, que sous ces formes brillantes vit toujours l’antique et fatal esprit de l’Asie, — l’adoration de la force et le mépris des droits du faible. Si les nouveaux maîtres des Iles-Ioniennes s’étaient mieux rendu compte des irrésistibles tendances du mahométisme, ils n’auraient pas compromis leur popularité par des alliances et par des démarches qui devaient bientôt leur aliéner le cœur des insulaires.

À l’époque où les Français s’établirent dans les Sept-Iles, Ali, pacha de Janina, commençait à sortir de l’obscurité. L’astucieux Albanais vit du premier coup d’œil le parti qu’il pouvait tirer de l’inexpérience de ses voisins et de leurs dispositions bienveillantes pour l’islamisme. Venise, fidèle au génie des croisades, avait surveillé Ali avec sa prudence ordinaire. Habituée aux fourberies musulmanes, la sérénissime république n’aurait jamais permis aux provéditeurs-généraux de Corfou de répondre aux avances suspectes du digne fils de Khamco. L’incurie et l’ignorance du directoire laissaient une liberté beaucoup plus grande aux autorités des Iles-Ioniennes, qui en profitèrent pour abandonner complètement la ligne