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Elles reconnaissent la protection comme un fait sur lequel on ne peut songer à revenir, et qui est en somme plus utile au pays que nuisible. Capodistrias était de cet avis, car il fit tous ses efforts pour empêcher l’Autriche d’obtenir la suzeraineté des îles qu’elle convoitait ardemment. Il croyait qu’une nation libérale comme l’Angleterre favoriserait mieux le développement de la république naissante qu’un gouvernement despotique qu’il savait systématiquement hostile à toutes les nationalités de l’Orient chrétien. Le parti conservateur, qui a adopté ce point de vue, pourrait être nommé également parti anglais ou protectioniste, qualification plus exacte que celle de « parti aristocratique, » souvent employée, car l’aristocratie, ayant perdu son ancienne position sociale, est obligée de chercher un point d’appui dans la faveur du gouvernement.

Les conservateurs, nommés par leurs adversaires ϰαταχθόνιοι (katachthonioi) (infernaux), se divisent en deux écoles, les rétrogrades et les partisans du statu quo. Les premiers blâment les concessions faites par les lords haut-commissaires, et regrettent le système autocratique dont le général Maitland était la personnification complète. Les seconds, sans désapprouver les réformes concédées, croient qu’il serait imprudent de trop s’engager dans cette voie, qu’on exposerait la république à de fâcheuses complications, et le protectorat à des dangers sérieux.

L’opposition, qu’on appelle aussi parti hellénique ou national, présente deux nuances bien tranchées, les réformistes et les antipro-tectionistes ou séparatistes. Les réformistes considèrent la protection comme une nécessité imposée par la puissance des événemens. Leur but est d’obtenir, par tous les moyens constitutionnels, l’exécution des traités garantis par l’Europe, de maintenir vivant le sentiment national, et de développer, à l’aide de ce sentiment, l’intelligence et la moralité du peuple ionien, sans faire aucun appel à la vivacité de ses passions. Pour les antiprotectionistes, le protectorat est Une « illusion et une duperie » (πλάνη ϰαὶ ἀπάτη (planê kai apatê)). Ce parti a eu pour berceau l’ardente Céphalonie. Lorsque la liberté de la presse permit à chacun d’émettre ses opinions, deux journaux prirent pour tâche d’attaquer le protectorat. Ces journaux, Ὁ φιλελεύθερος (Ho phileleutheros) et Ἡ Ἀναγέννησις (Hê Anagennêsis), popularisèrent le remarquable talent de MM.  Zervos et Momferrato ; mais la « haute police » en interdit la lecture, et relégua les rédacteurs dans une île presque déserte. Cependant, lorsqu’on eut accordé des élections libres, les deux chefs du parti séparatiste furent élus députés à Céphalonie par une majorité considérable. Ils développèrent à la tribune du parlement, avec beaucoup d’éclat, les théories qu’ils avaient soutenues dans la presse. Ces débats n’eurent d’autre résultat que de faire proroger deux fois