Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Diane est mort dans la même circonstance. La belle bergère se retrouve ainsi libre de fait, mais déterminée à ne laisser aucune affection remplacer dans son cœur le souvenir de Filandre. C’est à ce moment que Sylvandre apparaît sur la scène. Ce premier sentiment de la bergère Diane pour un berger qui ne fait en quelque sorte que passer dans le roman aurait-il quelque rapport avec un fait analogue dans la vie de Diane de Châteaumorand avant le retour en Forez de son jeune beau-frère, ou bien d’Urfé aurait-il voulu, par cette fiction, dépister les amateurs d’analogies ? C’est ce que nous ignorons ; mais ce qui est incontestable, c’est qu’à travers toutes les circonstances imaginaires dont le romancier se plaît à entourer la naissance et la vie du berger Sylvandre, enlevé dès son plus bas âge à ses parens, recueilli par un vieillard qui le fait élever à l’école des Massiliens, c’est-à-dire à Marseille, venu en Forez sur la foi d’un oracle qui annonce qu’il y retrouvera sa famille, et reconnu à la fin du roman pour être le fils du grand druide Adamas, à travers toutes ces circonstances imaginaires il y a dans les rapports de Sylvandre et de Diane un cachet de vérité qui donne à ces deux physionomies beaucoup plus d’attrait qu’aux figures fantastiques de Céladon et d’Astrée. En un mot, Diane et Sylvandre sont deux caractères précisés et suivis, et qu’on peut définir. Diane est fière, réservée, mélancolique ; son cœur est d’abord tout entier au souvenir du berger qu’elle a perdu, et aussitôt qu’elle s’aperçoit que la passion de Sylvandre commence à faire quelque impression sur elle, on la voit résister vaillamment à ce sentiment nouveau, qu’elle considère comme une sorte de profanation. L’excès même de cette résistance à une affection nouvelle, qui, dans les données du roman, n’a rien de coupable, pourrait bien être le résultat du souvenir d’une situation un peu différente où la lutte de Diane de Châteaumorand aurait été bien plus motivée. Toujours est-il que chaque progrès de détail que Sylvandre fait dans le cœur de Diane est très habilement rendu par d’Urfé, sans que la jeune bergère prononce une seule parole en désaccord avec son caractère. Le ton d’irritation méprisante avec lequel elle parle de son adorateur, lorsqu’elle croit que, rebuté de ses dédains, il s’est attaché à une autre, est le seul indice par lequel elle se trahit jusqu’au moment où, vaincue enfin par la persévérance de Sylvandre, elle s’abandonne à un sentiment qu’elle ne peut plus maîtriser. C’est surtout en lisant cette partie de l’Astrée, après avoir parcouru nos vieux romans chevaleresques, que l’on peut constater l’avènement d’un genre nouveau où, à côté d’une complication d’aventures qui subsiste encore, il y a déjà place pour une étude attentive et sérieuse du cœur humain.

Le caractère de Sylvandre est dessiné avec autant de netteté que