motivée, qui prescrit à chacun des plaideurs la conduite qu’il doit tenir, termine par un nouveau jugement sur la question de principe, qui est ainsi formulé :
« Ensuite des supplications à nous faites par lesdits bergers touchant leurs quatre demandes, nous disons :
« A la première, que, sans offenser la constance, une bergère peut souffrir, mais non pas rechercher ni désirer d’être servie de plusieurs. À la seconde, que cette pluralité de serviteurs, non recherchés ni désirés, mais soufferts, ne peut licencier l’amant à la pluralité des dames, si ce n’est, ce qui n’est pas croyable, qu’elles fussent aussi souffertes, et non désirées ni recherchées. À la troisième, que non-seulement l’amante, mais l’amant aussi, doivent vivre parmi tous, mais à un seul, imitant en cela le beau fruit sur l’arbre, qui se laisse voir et admirer de chacun, mais goûter d’une seule bouche. Et à la dernière, que celui outrepasse les limites (Diane veut dire enfreint les lois) de la constance, qui fait chose dont il s’offenserait si la personne aimée en faisait autant. »
La controverse ne porte pas seulement sur des questions de galanterie, elle porte sur toutes sortes de questions. Une jeune bergère, par exemple, que ses parens veulent contraindre à épouser un homme qu’elle n’aime pas, choisit pour avocat Sylvandre, qui plaide cette fois devant une assemblée de druides, et discute les limites et l’étendue du pouvoir paternel comme l’aurait pu faire un Arnauld ou un Lemaistre.
Il faut montrer enfin par un dernier exemple que, même dans cette partie un peu pédantesque de l’Astrée, d’Urfé a su parfois déployer beaucoup d’esprit. Ici le ton du débat rentre mieux dans le ton naturel de la conversation. Il s’agit d’une discussion très serrée entre Sylvandre et une bergère, Dorinde, qui affirme que les hommes sont incapables d’aimer. Ce propos assez banal, tenu de nos jours dans un salon, n’éveillerait peut-être pas beaucoup d’idées chez un contradicteur. Au temps de d’Urfé, il n’en fallait pas davantage pour faire partir une longue et brillante fusée de syllogismes. Sylvandre, plein de confiance dans son habileté, se fait fort d’avance de réduire Dorinde à une rétractation, et voici comment il procède.
« Ceux qui m’ont enseigné dans les écoles des Massiliens, entre les autres préceptes qu’ils m’ont ordonnés, l’un des premiers a été de ne disputer jamais contre ceux qui nient les principes. Dites-moi donc, belle bergère, si vous croyez qu’en l’univers il y ait quelque chose qui se nomme amour ? — Je pense, dit-elle, qu’il y a une passion qui se nomme comme vous dites, de laquelle toutefois les hommes ne sont point capables. — Nous rechercherons, répondit froidement Sylvandre, la vérité de ceci ; mais maintenant je me contente que vous m’avez avoué qu’il y a une passion qui s’appelle amour. Or dites-moi, je vous supplie, que pensez-vous que ce soit que cet