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voués de la liberté peuvent croire, et le cynisme de certains absolutistes ne fournit que de trop plausibles prétextes a cette façon de voir, que la question est posée de nos jours entre le despotisme et la liberté, et que dans ces termes elle n’admet point de compromis. User de la liberté de tolérance, ce serait, suivant ces personnes, manquer à la dignité de la liberté elle-même et favoriser par une niaise complicité les ruses de l’ennemi. C’est une conduite plus fière et plus politique, suivant ceux-là, d’abandonner les absolutistes à l’exagération de leur principe, et de ne songer à pratiquer nos droits que lorsque, épuisés par leurs excès, nos adversaires seront contraints de nous les rendre dans leur intégrité.

Nous voulons bien respecter les intentions de ceux qui pensent ainsi, mais nous ne pouvons les suivre dans ces extrémités. Leur logique et leur tactique, en supposant que l’une soit correcte et l’autre habile, commettent une omission grave à nos yeux : elles oublient le devoir qui domine tous ces débats, le devoir patriotique. Quel est celui de nous qui, dans une question de politique étrangère où l’honneur et les intérêts de la France seraient engagés, consentirait à marchander, dans de pareils calculs, son concours à son pays ? Ces devoirs supérieurs du patriotisme, que tout le monde reconnaît dans les questions où la nationalité est en jeu, ne nous paraissent pas moins impérieux dans la plus grande des questions intérieures, dans celle que soulèvent l’organisation et le développement des libertés publiques. En pratiquant la liberté dans la mesure qui nous est laissée, en revendiquant les garanties des droits qui nous manquent encore, ce ne sont point les intérêts particuliers du pouvoir qui offusquent nos pensées. Si le pouvoir a des conseillers éclairés, s’il a des amis aussi intelligens que dévoués, c’est à ces conseillers et à ces amis de lui dire ce qu’il gagnera à la consolidation et aux progrès de la liberté. Ils lui rappelleront que les résistances que développe la liberté régulière sont un appui véritable et une sécurité pour les gouvernemens. Ils lui rappelleront ces profondes paroles de Royer-Collard : « Les constitutions ne sont point des tentes dressées pour le sommeil… Des résistances habituelles et efficaces ou des révolutions, telle est la condition laborieuse de l’humanité. Malheur aux gouvernemens qui réussissent à étouffer les premières ! Envisagée sous ce point de vue, la liberté de la presse, la plus énergique de ces résistances parce qu’elle ne cesse jamais, la plus noble parce que toute sa force est dans la conscience morale des hommes, devient une institution. La liberté de la presse, devenue un droit public, fonde toutes les libertés, et rend la société à elle-même. » Les devoirs qui nous imposent à nous l’exercice et la revendication de nos droits sont plus généraux : ce sont les devoirs qui nous obligent envers la société et la civilisation française. Il faut porter sans fléchir le drapeau des promesses de 1789 ; il faut rendre témoignage aux principes encore inappliqués de la révolution ; il faut rappeler aux peureux et aux frivoles que les problèmes politiques et sociaux qui enveloppent notre siècle ne sont ni résolus ni supprimés par la silence. Les bouches ont beau être muettes, les esprits en proie à l’inertie ; il ne s’en fait pas moins dans les choses un travail latent qui pousse les questions à maturité. Après de si fréquentes et si terribles leçons, veut-on encore les laisser éclater à l’improviste, en révolutions ingouver-