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celui des écrivains ; mais tous les temps ne se ressemblent point : il y a eu des époques, il y en aura encore, où il a été donné à l’écrivain de rendre à la liberté ou à l’ordre plus de services que ces grandes causes n’en peuvent attendre d’un général ou d’un préfet. Par reconnaissance et par prévoyance, il serait bon de penser à relever la presse française. Or cela ne se peut qu’à une condition : l’abandon de la législation sans doute transitoire de 1852 et la réintégration de la presse dans le droit commun. C’est la réponse qui a été faite de tous côtés aux invitations libérales émanées d’un journal du gouvernement. La question est posée ; elle est de celles dont, une fois posées, on peut ajourner, mais non éviter la solution. Tel est jusqu’à présent le fait saillant d’une polémique qui n’en restera pas là. Nous nous bornerons à mentionner les protestations étranges qu’elle a provoquées dans certaines régions de la presse gouvernementale. Quelques-uns des tristes organes de cette presse ont pris pour devise l’inscription de l’Enfer de Dante : Lasciate ogni speranza ! Ils condamnent le pouvoir à l’immobilité, et contestent la signification que l’opinion a donnée à l’entrée de M. Delangle au ministère. Qui a raison dans ce conflit ? Est-ce l’opinion publique ? Est-ce le dangereux et ridicule parti des ultras ? Jusqu’à ce que l’événement nous démente, nous aimerons à croire que c’est l’opinion. N’est-il pas permis de voir, en attendant, la confirmation des pressentimens libéraux dans le souffle qui anime le discours que le prince Napoléon vient de prononcer à Limoges, dans le viril appel qu’il adresse dès ses premières paroles à l’énergie individuelle des citoyens et à la force de l’opinion publique ? Quant à ceux qui prêtent au gouvernement leur politique immobile, on peut leur opposer ce passage remarquable de la déclaration placée en tête de la constitution, qui est évidemment sorti de leur mémoire : « L’empereur disait au conseil d’état : « Une constitution est l’œuvre du temps ; on ne saurait laisser une trop large voie aux améliorations. » Aussi la constitution présente n’a-t-elle fixé que ce qu’il était impossible de laisser incertain. Elle n’a pas enfermé dans un cercle infranchissable les destinées d’un grand peuple ; elle a laissé aux changemens une assez large voie pour qu’il y ait, dans les grandes crises, d’autres moyens de salut que l’expédient désastreux des révolutions. »

La justice nous obligea reconnaître que le nouveau ministre de l’intérieur a déjà, par quelques actes, distingué son administration de celle qui l’a précédée. Nous avons parlé, il y a quinze jours, de la liberté de circulation rendue à plusieurs journaux ; aujourd’hui nous devons signaler les adoucissemens apportés, vis-à-vis des étrangers, dans le service des passeports. Cette affaire des passeports est une de celles qui, dans ces derniers temps, avaient causé au dehors les mécontentemens les plus graves contre nous. Il faut avoir passé récemment la frontière française pour juger des vexations inévitables que la sévérité du service des passeports suscitait aux étrangers. Naturellement c’est le peuple voyageur par excellence, ce sont les Anglais qui étaient le plus sensibles à ces vexations et qui s’en plaignaient le plus vivement. Il faut avouer qu’ils en ont quelquefois souffert d’une façon fort déplaisante. Une des plus ennuyeuses mésaventures qu’aient eu à subir les excursionnistes anglais est celle qui est arrivée la semaine dernière à Cherbourg. Dans une des villes du littoral anglais, une compagnie de bateaux à