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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/498

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des croisades. En effet, cette histoire ne saurait être comprise sans la connaissance des événemens qui préparèrent la scène où nos ancêtres vinrent jouer un rôle si glorieux : les invasions des Turks seldjoukides, avec lesquels ils eurent tant de fois à se mesurer, l’origine des principautés que ceux-ci fondèrent en Perse, dans le nord de la Syrie et dans l’Asie-Mineure, les tentatives des empereurs grecs pour arracher les saints-lieux aux mains des infidèles, et l’établissement du royaume chrétien de la Petite-Arménie. Ce royaume, dont la création remonte à la fin du XIe siècle et fut l’œuvre d’un chef émigré de la Grande-Arménie nommé Roupên, prit rang en peu de temps dans la grande confédération que formèrent les colonies latines de l’Orient. À peine les croisés eurent-ils traversé l’Asie-Mineure et la chaîne du Taurus, que les Arméniens qui habitaient ces montagnes accoururent à eux comme vers des frères venus de l’Occident, leur prodiguèrent des secours pendant les rigueurs de la famine au siège d’Antioche, et dès lors ne cessèrent de combattre dans leurs rangs sur presque tous les champs de bataille. Des alliances mêlèrent le sang des descendans de Roupên à celui des familles françaises les plus illustres. Sous le règne de l’un d’eux, Léon II, dit le Grand, qui épousa en premières noces une princesse de la maison d’Antioche et ensuite Sibylle, fille d’Amaury, roi de Chypre, les Latins étaient déjà établis en nombre considérable dans la Cilicie ; on y voyait affluer les marchands de Gênes, de Venise et de toutes les villes commerçantes de l’Italie, ceux de la Catalogne et de la Provence. Le clergé frank y possédait des monastères, et les trois ordres de Saint-Jean-de-Jérusalem, du Temple et Teutonique, de riches commanderies. Des seigneurs français occupaient de grandes charges à la cour des Roupéniens. Lorsque, vers 1342, les rois de race arménienne eurent fait place à des princes d’une branche des Lusignans de Chypre, la Cilicie fut envahie plus que jamais par les Latins et soumise à leur influence. L’existence du royaume de la Petite-Arménie comme frontière de la Syrie et donnant accès dans ce pays fut toujours considérée comme indispensablement liée au maintien des colonies chrétiennes d’outre-mer tant qu’elles furent debout, ou à l’espérance de les recouvrer lorsqu’elles furent perdues. C’est pour cette raison que les papes firent tant d’efforts pour soutenir ce royaume contre les Égyptiens, et appelèrent tant de fois à son secours les souverains de l’Europe ; mais leur zèle resta impuissant au milieu de la tiédeur qui avait succédé à l’enthousiasme des croisades. Leur voix ne fut pas écoutée ; la Petite-Arménie succomba sous les coups réitérés et terribles des infidèles, et perdit à jamais son indépendance avec son dernier roi, Léon VI. Ce prince infortuné, tombé entre leurs mains, vint, après une longue captivité, finir ses jours à Paris, à la cour de Charles VI, en 1393.

Tout ce que nous savons de la vie de Matthieu d’Edesse, historien de ce royaume mi-partie arménien et latin, est ce qu’il nous révèle lui-même dans les prologues de sa deuxième et de sa troisième partie. Il s’attribue le surnom ethnique d’Ourhaïetsi, c’est-à-dire habitant ou plutôt natif d’Edesse (Ourha), et en effet il ajoute immédiatement que cette cité, lui avait donné le jour. Quelques lignes plus loin, il se qualifie de vanérêts ou supérieur de couvent. L’époque de sa naissance et de sa mort nous est inconnue. Ce qui est indubitable, c’est que son existence dut se prolonger