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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/499

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au-delà de 1136, année où se termine son récit, et lorsque Édesse appartenait à Josselin le Jeune. C’est dans cette ville qu’il en rassembla les élémens ; la rédaction des deux premières parties lui coûta, à ce qu’il nous dit lui-même, quinze années d’un travail persévérant.

La biographie de Grégoire, son continuateur, ne nous est pas mieux connue. Il nous apprend qu’il était prêtre séculier (érêts), c’est-à-dire, suivant la discipline de l’église arménienne, non engagé dans l’état monastique, et marié. Les deux expéditions de l’empereur Jean Comnène en Cilicie et en Syrie (1137-1143), la prise d’Édesse sur les chrétiens par l’atabek Emad-Addin-Zangui, le père du fameux Nour-Eddin (1144), les relations tantôt hostiles, tantôt bienveillantes, des sultans seldjoukides d’Iconium avec les princes de la Petite-Arménie, les démêlés et les guerres de ces sultans avec les émirs de Cappadoce, de la famille de Danischmend, la fin de la dynastie des comtes d’Édesse de la maison de Courtenay, les entreprises des croisés contre Nour-Eddin, celles des rois de Géorgie sur le territoire arménien, tels sont les faits principaux dont il s’est occupé.

Après avoir donné une idée d’un ouvrage qui voit le jour traduit pour la première fois dans une langue européenne, je voudrais dire quelques mots du travail de M. Dulaurier. En s’imposant la tâche de reproduire cet ouvrage en français avec une fidélité rigoureuse, et de faire ressortir dans tout leur relief les traits de la physionomie des deux chroniqueurs, il a eu à vaincre plus d’une difficulté : leur style est inculte et leur langage vulgaire ; on y retrouve l’empreinte d’un siècle où les lettres arméniennes étaient en pleine décadence, où la barbarie avait remplacé à Édesse cette culture de l’esprit perfectionné, cette civilisation élégante et raffinée dont la métropole de l’Osrhoëne avait été jadis le foyer. Dans ces pages, tracées d’une main rude et inexpérimentée, les mêmes tournures, les mêmes images reviennent à chaque instant. Dissimuler ce que ces répétitions ont de fatigant pour nous et en même temps conserver les allures du récit arménien, c’était un problème que le traducteur a cherché à résoudre en employant toutes les ressources de notre langue, si souple et si variée. Je ne voudrais point cependant affirmer qu’il y ait toujours réussi ; mais cette monotonie de style disparaît en quelque sorte par l’intérêt dramatique de la narration, par la mobilité de la scène où le lecteur est transporté, et par l’étrangeté des appréciations que suggèrent à Matthieu et à Grégoire leurs préjugés nationaux.

Dans sa préface, M. Dulaurier a esquissé le tableau politique de l’Orient pendant la période qu’ils ont embrassée, et qui comprend le temps où Édesse fut sous la domination française. En discutant les sources où ils ont puisé, il montre que leurs informations proviennent des archives des anciens souverains bagratides d’Ani, de la tradition orale, et sans doute aussi d’anciens mémoires écrits en arménien et que nous ne possédons plus aujourd’hui. Pour un ouvrage émané d’une littérature aussi peu cultivée que l’a été jusqu’à présent celle de l’Arménie, et où sont racontés des faits nouveaux, peu connus ou présentés sous un jour particulier, un commentaire était indispensable. Les auteurs contemporains, chrétiens ou musulmans, ont été consultés pour éclaircir, rectifier et compléter les récits de nos deux chroniqueurs. Dans les notes, qui ont été rejetées à la fin du volume, et qui en forment environ le tiers, le traducteur s’est attaché à fixer toutes les positions