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— Il vous menaçait de révéler au baron ce que vous avez tant d’intérêt à tenir caché.

Stenson demeura calme comme s’il n’eût pas entendu. M. Goefle insista encore. — Quel est donc ce Manassé qui est mort ?

Même silence de Stenson, dont les yeux impénétrables, attachés sur M. Goefle, semblaient lui dire : « Si vous le savez, pourquoi le demandez-vous ? »

— Et l’autre ? reprit l’avocat ; de quel autre vous parlait-il ?

— Vous écoutiez, monsieur Goefle ? demanda à son tour le vieillard d’un ton d’extrême déférence, où le blâme se faisait pourtant clairement sentir. L’avocat fut intimidé ; mais sa bonne intention le rassura. — Trouvez-vous surprenant, monsieur Stenson, dit-il, que, frappé de l’accent de menace d’une voix inconnue, je me sois approché avec la volonté de vous secourir au besoin ?

Stenson tendit à M. Goefle sa vieille main ridée, redevenue froide. — Je vous remercie, dit-il. — Puis il remua quelques instans les lèvres, comme un homme peu habitué à parler, qui veut s’épancher ; mais il tarda tant que M. Goefle lui dit pour l’encourager :

— Cher monsieur Stenson, vous avez un secret qui vous pèse, et vous vous trouvez par suite sous le coup de quelque danger sérieux.

Stenson soupira et répondit laconiquement : — Je suis un honnête homme, monsieur Goefle !

— Et pourtant, reprit celui-ci vivement, votre conscience pieusement timorée vous reproche quelque chose !

— Quelque chose ? dit Stenson avec un ton d’autorité douce, comme s’il eût dit : J’attends que vous me le disiez.

— Vous avez du moins à craindre, reprit l’avocat, quelque vengeance du baron ?

— Non, répondit Stenson avec une force subite ; je sais ce que m’a dit le médecin.

— Le médecin l’a-t-il condamné ? Est-il si avancé dans son mal ? Je l’ai vu ce matin : il semble en avoir encore pour longtemps.

— Pour des mois, reprit Stenson, et moi, j’en ai encore pour des années. J’ai consulté hier… Je consulte tous les ans…

— Alors… vous attendez sa mort pour révéler quelque chose de grave ?… Vous savez cependant qu’on le dit capable de faire mourir les gens qu’il redoute : qu’en pensez-vous ?

Les traits de Stenson exprimèrent la surprise ; mais il sembla cette fois à M. Goefle que c’était une surprise de commande et de pure convenance, car une secrète anxiété succéda visiblement. Stenson était habile à se contenir, sinon à dissimuler.

— Stenson, lui dit l’avocat avec l’énergie de la sincérité et en lui prenant les deux mains, je vous le répète : un secret vous pèse. Ou-