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possession du local qui nous est destiné, monter la baraque, placer l’éclairage, etc. Je n’ai plus une minute à perdre. Il faut commencer à huit heures.

— À huit heures ! Diable ! voilà une heure détestable. On ne soupera donc qu’à dix heures au château ? Et quand souperons-nous, nous autres ?

— Ah ! oui, le cinquième repas de la journée, s’écria avec désespoir Christian, tout en faisant ses préparatifs à la hâte : au nom du ciel, monsieur Goefle, soupez tout de suite et soyez prêt dans une heure. Vous lirez la pièce en mangeant.

— Oui-dà ! vous me mettez là à un joli régime ! manger sans appétit et lire en mangeant pour ne pas digérer !

— Alors n’y songeons plus. Je vais essayer de jouer à moi seul. Je ferai comme je pourrai. Bah ! quelque bon génie me viendra en aide !

— Non pas, non pas ! s’écria M. Goefle, je veux être ce bon génie ; je vous l’ai promis, je n’ai qu’une parole.

— Non, monsieur Goefle, je vous remercie ; vous n’avez pas l’habitude de ces choses-là. Vous êtes un homme raisonnable, vous ! vous ne sauriez vous affranchir de vos graves préoccupations pour vous mettre sur la tête le bonnet à grelots de la folie ! J’étais un grand indiscret d’accepter…

— Ah çà ! s’écria M. Goefle, pour qui me prenez-vous ? pour un hâbleur qui promet ce qu’il sait ne pouvoir tenir, ou bien encore pour un vieux pédant, incapable de se livrer à un agréable badinage ?

Christian vit que la contradiction était le meilleur stimulant pour ramener l’avocat à son projet, et qu’au fond le digne homme tenait à accomplir ce tour de force de se transformer en agréable baladin sans autre préparation que celle nécessaire à Christian lui-même. Il l’excita donc encore par une feinte discrétion et ne le quitta que lorsqu’il le vit presque piqué de ses doutes, résolu ou plutôt acharné à se mettre en mesure, dût-il manger sans appétit sa soupe au lait et à la bière, et sortir absolument et violemment de ses petites habitudes.

Christian était à la moitié du trajet entre le Stollborg et Waldemora, lorsqu’il se trouva face à face avec une sorte de fantôme noir qui voltigeait par bonds inégaux sur la glace. Il ne lui fallut pas beaucoup de réflexion pour reconnaître M. Stangstadius, porteur comme lui d’une petite lanterne sourde, et se disposant à lui adresser la parole. Comme Christian était bien sûr de ne pas être reconnu par un homme aussi insoucieux des autres, il jugea inutile de baisser son masque sur sa figure et de changer son accent pour lui répondre. — Holà ! mon ami, lui dit le savant, sans daigner même le regarder, vous venez du Stollborg ?

— Oui, monsieur.