— Vous y avez vu le docteur Goefle ?
— Non, monsieur, répondit Christian, qui s’avisa aussitôt de la perturbation fâcheuse qu’une telle visite apporterait aux bonnes résolutions de son collaborateur.
— Comment ! reprit Stangstadius, le docteur Goefle n’est pas au Stollborg ? Il m’avait dit qu’il y était logé.
— Il y était tantôt, répondit Christian avec aplomb ; mais il est parti pour Stockholm il y a deux heures.
— Parti ! parti sans attendre ma visite, quand je lui avais annoncé ce matin que j’irais souper avec lui dans la vieille tour ! c’est impossible.
— Il l’aura sans doute oublié.
— Oublié ! oublié ! quand il s’agit de moi ! voilà qui est trop fort par exemple !
— Enfin, monsieur, reprit Christian, allez-y si bon vous semble, vous ne trouverez ni souper, ni convive.
— Alors j’y renonce ; mais voilà bien la chose la plus extraordinaire !… Il faut qu’il soit devenu fou, ce pauvre Goefle !
Et M. Stangstadius, revenant sur ses pas, se mit à marcher auprès de Christian, qui continuait sa route vers le château. Au bout de quelques instans, le naturaliste se ravisa, et, se parlant à lui-même à haute voix, comme il en avait l’habitude : — Goefle est parti, dit-il, soit ! c’est un cerveau brûlé, un extravagant ; mais son neveu ! car il a un neveu, un charmant garçon avec qui l’on peut causer, et celui-là, sachant par lui que j’irais dîner là-bas, doit m’attendre. Il faut que j’y aille, certainement il le faut. — Puis s’adressant à Christian : — Dites-moi, mon ami, reprit-il, je veux aller au Stollborg décidément… J’ai beaucoup marché aujourd’hui dans la neige et je suis très las ; prêtez-moi votre petit cheval ?
— Ce serait avec grand plaisir, monsieur ; mais si c’est pour trouver le neveu de M. Goefle…
— Oui, certainement, Christian Goefle, il s’appelle comme cela. Vous l’avez vu ? vous êtes homme de service au Stollborg, vous, n’est-ce pas ? eh bien ! retournez-y, donnez-moi votre bête, marchez devant et allez faire préparer le souper. C’est une bonne idée, cela !
Et, sans attendre l’agrément de Christian, M. Stangstadius, séduit par la petite taille et l’allure paisible de Jean, qu’il s’obstinait à prendre pour un cheval, voulut monter dessus, sans s’inquiéter de son chargement, qui s’y opposait de la manière la plus absolue.
— Laissez donc cet animal tranquille ! lui dit Christian, un peu impatienté de son insistance. Le neveu de M. Goefle est parti avec son oncle, et le Stollborg est fermé comme une prison.
— Le jeune homme parti aussi ! s’écria Stangstadius émerveillé.