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— Neveu ou non, un jeune homme de votre taille, dont la voix ne m’a pas frappé particulièrement, mais dont la figure était fort agréable, tout habillé de noir, un garçon de bonne mine enfin…

— De bonne mine ? Plût au ciel que ce fût moi, monsieur Johan ! J’avais une si belle envie de dormir que je ne saurais vous dire s’il était au Stollborg. Je n’ai vu là qu’un ivrogne appelé Ulphilas.

— Et M. Goefle ne l’a pas vu, cet étranger ?

— Je ne le pense pas.

— Il ne le connaît pas ?

— Ah ! vous me rappelez… Oui, oui, je sais ce que vous voulez dire : j’ai entendu M. Goefle se plaindre d’un individu qui aurait usurpé son nom pour se présenter au bal. Est-ce cela ?

— Parfaitement.

— Mais alors comment se fait-il, monsieur le majordome, qu’étant intrigué par cet inconnu, vous ne l’ayez pas fait suivre ?

— Nous n’étions nullement intrigués ; il s’était donné pour un proche parent de l’avocat : on comptait nécessairement le voir reparaître. C’est ce matin, lorsque l’avocat l’a désavoué, que M. le baron s’est demandé comment un inconnu avait osé, sous un nom d’emprunt, s’introduire dans la fête. C’est sans doute une gageure impertinente, quelque étudiant de l’école des mines de Falun,… à moins que ce ne soit, comme il paraît l’avoir donné à entendre, un fils naturel que l’avocat n’autorise pas à porter son nom.

— Tout cela ne me paraît pas valoir la peine de tant chercher, répondit Christian d’un ton d’indifférence ; m’est-il permis à présent d’aller souper, monsieur le majordome ?

— Oui, certes ; vous allez souper avec moi.

— Non, je vous remercie ; je suis très fatigué, et je me retire.

— Toujours au Stollborg ? Vous y êtes bien mal !

— J’y suis fort bien.

— Avez-vous un lit au moins ?

— J’en aurai un cette nuit.

— Cet ivrogne d’Ulphilas vous fait-il manger convenablement ?

— On ne peut mieux.

— Vous êtes en mesure pour demain ?

— À quelle heure ?

— Comme aujourd’hui.

— C’est fort bien. Je suis votre serviteur.

— Ah ! encore un mot, monsieur Waldo : est-ce une indiscrétion de vous demander votre véritable nom ?

— Nullement, monsieur Johan ; mon véritable nom est Stentarello, pour vous servir.

— Mauvais plaisant ! C’est donc vous qui faites toujours parler ce personnage de comédie ?