Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/547

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Toujours, quand ce n’est pas mon valet.

— Vous êtes mystérieux !

— Oui, quand il s’agit du secret de mes coulisses ; sans cela point de prestige et point de succès.

— Peut-on au moins vous demander pourquoi un de vos personnages s’appelait le baron ?

— Ah ! cela, demandez-le aux laquais qui ont fait boire Puffo ; quant à moi, habitué à ses bévues, je n’y eusse pas fait attention, s’il ne s’en fût confessé avec effroi.

— Aurait-il recueilli quelque sot commérage ?…

— Relativement à quoi ? Expliquez-vous…

— Non, non, ça n’en vaut pas la peine, répondit Johan, qui voyait, grâce à l’adresse ou à l’insouciance de son interlocuteur, leur attitude respective transposée, en ce sens qu’au lieu de questionner, le majordome se trouvait questionné lui-même.

Cependant il revint sur une question déjà faite : — Vous aviez donc, dit-il, un décor qui ressemblait au Stollborg à s’y méprendre ?

— Qui ressemblait un peu au Stollborg, oui, par hasard, et c’est à dessein que je l’ai fait ressembler tout à fait.

— Pourquoi cela ?

— Ne vous l’ai-je pas dit ? Pour être agréable à M. le baron. C’est une délicatesse de ma part de chercher toujours à représenter un site de la localité où j’exerce mon industrie passagère. À ma prochaine étape, ce Stollborg sera changé et représentera autre chose. Est-ce que M. le baron a trouvé ma toile de fond mauvaise ? Que voulez-vous ? j’ai eu si peu de temps !

En parlant ainsi, Christian s’amusait à observer la désagréable figure de Johan. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, assez gros, d’un type vulgaire et d’une physionomie bienveillante et apathique au premier abord ; mais dès la veille Christian, en lui remettant la lettre d’invitation trouvée dans la poche de M. Goefle, avait surpris, dans son coup d’œil oblique, une activité inquisitoriale dissimulée par une nonchalance d’emprunt. Maintenant il était encore plus frappé de ces indices d’un caractère affecté, qui semblait être une copie chargée de celui du baron, son maître. Néanmoins, comme, au bout du compte, Johan n’était qu’un premier laquais sans éducation et sans art véritable, Christian n’eut pas la moindre peine à jouer la comédie infiniment mieux que lui, et à le laisser persuadé de l’innocence de ses intentions. En même temps Christian acquérait une quasi-certitude à propos de l’histoire de la baronne Hilda. Il devenait évident pour lui qu’un drame quelconque s’était accompli au Stollborg et que le baron n’avait pu voir sans effroi ou sans colère ces trois choses représentées sous une forme et dans une intention quelconque : une prison, une victime et un geôlier.