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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/548

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X.

Johan était à coup sûr le confident, peut-être un des acteurs de ce drame. Il avait voulu savoir à quel point maître Christian Waldo, en qualité de chroniqueur ambulant, pouvait avoir été initié à ce mystère. Christian avait adroitement jeté dans son esprit le soupçon d’une indiscrétion de la part des laquais du château, et il avait assez heureusement jusqu’à nouvel ordre retiré du jeu son épingle et celle de M. Goefle.

Nous le laisserons vaquer philosophiquement au soin de recharger son âne, et nous dirons ce qui s’était passé pendant son entretien avec le majordome. Nous reprendrons les choses au moment où M. Goefle, favorisé par le lever de la lune et le retour de l’aurore boréale, était reparti pour le Stollborg, marchant rapidement sur le lac, chantonnant et gesticulant un peu malgré lui.

Pendant ce temps, on avait servi le souper aux hôtes du château neuf, et le splendide gâteau de Noël, qui, selon l’usage norvégien, devait rester sur la table et n’être attaqué que le 6 janvier, faisait, par sa dimension et par son luxe, l’admiration des dames. Ce chef-d’œuvre de pâtisserie représentait, par un singulier mélange de la galanterie du siècle avec la pratique religieuse, le temple de Paphos. On y voyait des monumens, des arbres, des fontaines, des personnages et des animaux. La pâtisserie et le sucre cristallisé de toutes couleurs imitaient les matériaux les plus précieux, et se prêtaient aux formes les plus fantastiques.

Le baron avait confié à une vieille demoiselle de sa famille, personne très versée dans la science domestique et parfaitement nulle à tous autres égards, le soin de faire les honneurs du souper, pendant qu’il prendrait le temps de lire quelques lettres et d’y répondre. En réalité, le baron, qui ne manquait pas de prétextes pour se retirer quand il avait quelque préoccupation d’esprit, était en ce moment enfermé dans son cabinet avec un homme pâle, qui se donnait le nom de Tebaldo, et qui n’était autre que Guido Massarelli.

Ce n’est pas sans peine que Guido avait obtenu ce tête-à-tête. Johan, très jaloux de l’oreille du maître, avait tâché de lui tirer son secret pour s’en donner les gants ; mais Massarelli n’était pas homme à se laisser surprendre. Il avait insisté, et, après avoir erré tout le jour dans le château, il obtenait enfin l’entrevue dont il avait escompté le résultat en se targuant auprès de Christian d’être l’ami de la maison. L’entretien, qui eut lieu en français, commença par un étrange récit auquel le baron ne sembla prêter qu’une attention ironique et dédaigneuse.