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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/562

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et je repartirai le 10 courant pour te serrer dans mes bras, te chérir, te soigner et faire avec toi de nouveaux rêves de bonheur, puisque Dieu bénit encore une fois notre union. Je t’envoie un exprès pour te rassurer sur mon voyage, qui n’a pas été trop pénible. Il l’a été cependant assez pour que je me sois plusieurs fois applaudi de ne t’avoir pas emmenée dans la situation où tu es. Jusqu’à Falun, il m’a fallu toujours être à cheval. À revoir donc le 15 ou le 16 au plus tard, ma bien-aimée. Nous ne plaiderons pas avec Rosenstein. Tout s’arrange. Je t’aime.

Adelstan de Waldemora. »

— Monsieur Goefle, dit Christian à l’avocat, qui repliait la robe en silence, ne vous semble-t-il pas horriblement triste de trouver cette lettre d’amour et de bonheur conjugal dans les vêtemens d’une morte ?

— Oui, c’est triste ! répondit M. Goefle en ôtant ses lunettes et le turban qu’il s’était improvisé. Et puis, c’est étrange ! Savez-vous que cela donnerait à réfléchir ?… Mais la pauvre baronne s’était trompée, elle n’était pas enceinte, elle l’a déclaré librement. Stenson me l’a dit encore aujourd’hui. Il était là quand elle a signé !… Mais voyons donc la date de ce billet.

M. Goefle remit ses lunettes et lut : Stockholm, le 5 mars 1746. Tiens ! reprit-il, cela s’accorde justement, si j’ai bonne mémoire… Bah ! cette histoire est trop ténébreuse pour un homme qui a envie de s’amuser. C’est égal, je garde le billet. Qui sait ? Il faudra que je revoie les papiers que m’a laissés mon père… Mais voyons, Christian, vous renoncez donc au déguisement ?

— Avec ces chiffons qui sentent le sépulcre, à coup sûr ! Ils me donnent froid dans le dos… Elle était vertueuse, érudite et belle, disiez-vous ce matin : la perle de la Dalécarlie !… Et elle est morte toute jeune ?

— À vingt-cinq ou vingt-six ans, près de dix mois après la date de ce billet, car c’est bien en mars 1746 que le comte Adelstan a été assassiné. Ce sont probablement là les derniers mots qu’il a tracés pour sa femme, et c’est pour cela qu’elle a porté ce cher billet sur elle peut-être jusqu’à son dernier jour, arrivé si peu de temps après !

— Voyez comme cette femme a été malheureuse ! reprit Christian ; jeune épouse et jeune mère, se trouver tout à coup veuve et sans postérité,… mourir victime de la haine du baron…

— Oh ! cela n’est rien moins que prouvé… Mais écoutez donc la fusillade ! La course est commencée, Christian, et nous sommes là à deviser sur des choses qui n’intéressent plus personne, et qui après tout ne nous regardent pas. Si vous êtes mélancolique ce soir, restez ici, mon garçon ; moi, je vais courir, j’ai besoin de prendre l’air ; j’ai trop rêvassé aujourd’hui.