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en communes rurales, afin de mieux assurer le paiement des redevances par la garantie collective. Les chroniques du XIIe siècle mentionnent des donations faites à des boyards, à des couvens et à des corporations. Quand les boyards passaient du service d’un prince au service d’un autre, les terres (poméstia) leur étaient reprises[1]. La votchina (propriété stable)[2], qui remonte à l’état patriarcal, appartenait au chef du clan, revêtu du droit domanial; mais elle perdit son caractère d’indépendance absolue, tout en se maintenant après l’incorporation complète des petites principautés du duché de Moscovie et la formation de l’état russe.

Au commencement du XVIIe siècle, la pleine propriété gagna du terrain en vertu des concessions du souverain, qui effacèrent la différence entre la votchina et le poméstié, et ce fait se généralisa sous Pierre le Grand, qui laissa à la noblesse l’hérédité de tous les biens. D’un autre côté, les possessions de la couronne s’étendirent considérablement. Des conquêtes, des confiscations diverses, entre autres celle des biens monastiques, favorisèrent ce développement des domaines impériaux. Il faut remarquer à ce propos que la confiscation des biens du clergé s’effectua sans soulever d’opposition, sans susciter de regret. Le clergé n’avait point exercé sur la culture du sol en Russie l’heureuse influence qui a tant contribué au développement de la civilisation et de la richesse de l’Occident. Il n’avait pas légitimé par un rude labeur les possessions que le pouvoir lui attribuait, sauf à les reprendre. L’organisation sociale et politique de la Russie ne se ressent que trop, il faut le dire, de l’absence de l’élément religieux, qui conservait ailleurs le dépôt des lumières. L’église russe ne saurait se glorifier, comme l’église romaine, d’avoir fourni un actif concours pour défricher à la fois et la science et le sol. En Occident, les couvens ont rempli au moyen âge un rôle dont on ne saurait assez signaler l’importance : ils formaient de véritables écoles, et ils convertissaient aux meilleurs procédés de l’exploitation du sol comme aux aspirations plus élevées de l’âme. Les missionnaires qui plantèrent la croix en Allemagne forent aussi les apôtres du progrès en agriculture. Il est bon de vivre sous la crosse était alors un proverbe favori. Ces premières semences de la civilisation matérielle et intellectuelle, répandues ailleurs par le clergé, ont manqué à la Russie. Aussi n’a-t-on pas vu les petits possesseurs indépendans s’y multiplier sous l’aile de l’église, et le domaine privé s’y est moins étendu par rapport au domaine public.

Le compte-rendu du ministère des domaines pour l’année 1849

  1. Haxthausen, t. III, p. 507.
  2. Votchina, ou otchina, signifie le patrimoine, l’héritage paternel. En Pologne, le ojczyzna indiquait la même nature de bien.