Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/603

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attribue aux terres de la couronne une étendue de près de 80 millions de dessiatines[1], dont environ moitié, 39,496,733, avait été concédée aux paysans. Suivant M. Tegoborski[2], 33,993,137 dessiatines formaient le sol productif (en terres arables, prairies et pâturages). Elles étaient réparties sur une population masculine de 9,353,516 individus, ce qui donne une moyenne de 3,6 dessiatines, c’est-à-dire 3,9 hectares, par individu mâle, ou, en prenant la population des deux sexes (18,873,069) et en comptant 5 individus pour une famille, 9,1 dessiatines ou près de 10 hectares par famille. Cette dotation excède généralement de beaucoup l’étendue des terrains acquis par les paysans dans d’autres pays ; elle aurait dû servir de point de départ à une situation florissante et favoriser le développement de la population. En outre, quand celle-ci s’accroît dans certaines provinces, si les terres arables viennent à manquer, l’administration des domaines concède d’autres terrains vacans, ou bien elle transporte un certain nombre de familles dans des contrées où l’étendue du sol labourable excède les besoins de la population locale. Malheureusement cette mesure, prise dans l’intérêt des paysans de la couronne, ne fait que mieux constater leur état servile. La colonisation forcée, quelque soin que l’on prenne pour lui donner l’apparence d’une colonisation volontaire, est un des signes auxquels on reconnaît la nature véritable des liens qui rattachent à la couronne le paysan du domaine : la trace de la servitude s’y révèle, et les mœurs en ont conservé la tradition complète.

Ce qui a le plus contribué à la maintenir, c’est l’absence du droit de propriété. Les paysans de la couronne obéissent en effet au principe communiste du partage périodique du sol : ils n’ont qu’un droit de possession temporaire du terrain, dont la commune conserve l’usufruit permanent. À vrai dire, la terre ne leur appartient pas, mais ils appartiennent à la terre. Ils ont été les premiers à s’y trouver fixés, par des liens indissolubles, à la suite du dénombrement de la population rurale qui eut lieu sous la domination tartare. En attachant au sol les paysans des terres domaniales, les conquérans voulaient assurer la rentrée du tribut ; les terres des particuliers échappèrent au recensement, parce que les propriétaires répondaient du paiement de l’impôt. Les paysans des domaines de l’empire se trouvèrent donc attachés en masse à la terre qu’ils habitaient, tandis que pour

  1. 79,469,400 dessiatines, ce qui équivaut à 86,452,584 hectares, c’est-à-dire plus da double du sol cultivable de la France sans compter les terres des apanages et 608,833 dessiatines appartenant à l’administration des haras. L’ensemble forme une superficie de 17,000 milles carrés, outre les 118 millions de dessiatines de forêts de la couronne, qui couvrent 23,530 milles carrés.
  2. Études sur les Forces productives de la Russie, t. Ier, p. 395.