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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/617

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compte les frais d’entretien d’hommes qui manquaient au corps, envoyé leurs chevaux dans des pâturages pour s’approprier l’argent destiné aux pâturages, fait des économies sur l’entretien et l’habillement des troupes, et augmenté par là le nombre des malades, des invalides et des morts; qu’ils ont gardé les sommes destinées à réparer et à compléter le matériel, qui naturellement se trouvait détérioré avant le temps, et que toutes ces économies entraient tout simplement dans les poches de ceux qui étaient chargés de l’administration financière... »

Le roman et le drame ont suffisamment dessiné la sombre figure de l’ispravnik et du stanovoï pristav, qui exercent un pouvoir considérable, et qui exploitent leur place comme une mine. Ils font construire, par exemple, des ponts et élever des chaussées pour vexer, chicaner et dépouiller leurs contribuables; ils requièrent des hommes au milieu de la moisson et punissent sévèrement ceux qui ne répondent pas à l’appel, ou bien ils accordent un délai moyennant finances. L’ispravnik[1], qui exerce des pouvoirs si étendus, est en Russie le plus odieux et en même temps le plus méprisé de tous les employés. Un journal officiel de l’empire rapporte que les tribus païennes des Tchérémisses possèdent dans leurs forêts une idole qu’ils appellent Chemi-Chooumi (expression qui désigne dans leur langue la magistrature subalterne, l’ispravnik). Ils lui offrent des sacrifices, comme à une divinité malfaisante, pour qu’elle ne les fasse pas trop souffrir. C’est de l’ispravnik élu par la noblesse que M. de Haxthausen parle en ces termes : « Il serait, de l’avis des hommes les plus compétens et les plus intelligens, plus avantageux pour l’administration intérieure de la Russie que le tsar abolît l’organisation des états et des gouvernemens avec les assemblées et les élections de la noblesse, en transmettant toutes les fonctions aux employés du gouvernement central. Les tchinovniks sont en général de mauvais employés, mais ils ne sont pas aussi dépravés que la plupart des employés élus par la noblesse. Le système actuel n’est qu’une espèce de mystification. »

Si tel est l’état des choses là où intervient la portion la plus éclairée et relativement la plus indépendante de la nation, la noblesse, que doit-on penser des élections faites par la commune libre? L’auteur de la Russie et l’Europe[2] entre à ce sujet dans des

  1. Le mélange d’attributions administratives, de police et d’instruction judiciaire, qui sont dévolues à l’ispravnik, ne permet pas de trouver dans notre hiérarchie civile une fonction correspondante. C’est une espèce de sous-préfet qui cumule les pouvoirs de police judiciaire et qui exécute certains actes du ressort de nos officiers ministériels. Chaque ispravnik a plusieurs adjoints (stanovoï pristav).
  2. Rossia i Europa, Polska, p. 6, 36.