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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/623

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tivateur sont misérables, ils produisent peu; l’homme, imprévoyant et sans vue d’avenir, n’est pas capable d’amélioration. »

Quelle est la cause première de cette immobilité? Le communisme. L’enfant qui vient au monde a sa part prête qu’il recevra de la commune. C’est comme une prime pour naître; mais en face se dresse une force de mort, d’improductivité, d’oisiveté, de stérilité[1]. L’homme, non responsable, se reposant sur la commune, reste comme endormi dans l’imprévoyance : au lieu d’exploiter les forces naturelles en les dominant par un travail énergique, infatigable, intelligent, il se borne à effleurer la surface de la terre. Elle produira peu, qu’importe? il ne doit pas la conserver. Au prochain partage d’ailleurs, il se fera assigner un lot de plus; sa femme est là : il aura un enfant.

Ainsi pas d’intensité d’efforts, pas de labeur persévérant, pas de prévoyance, pas d’avenir. Quand l’existence de l’homme se prolonge dans les êtres qui lui sont chers, quand il travaille non-seulement pour lui, mais pour eux, les douces affections de la famille deviennent l’essence du droit de propriété. Des penseurs aussi aveugles que téméraires ont accusé la transmission héréditaire des biens d’être une institution d’égoïsme : ils n’ont pas vu, ils n’ont pas compris que l’hérédité efface ce que le sentiment personnel peut avoir d’exclusif et d’étroit, et qu’elle ramène sans cesse le progrès individuel dans le cercle du progrès social.

Avec la loi agraire du communisme, l’homme est absorbé par la masse, son individualité sommeille : « vie toute naturelle, dans le sens inférieur, profondément matérielle, qui attache singulièrement l’homme en le tenant très bas[2]. » C’est parce qu’elle le tient très bas qu’il devient dans sa faiblesse et dans son ignorance l’instrument docile du pouvoir absolu. En Russie, dit-on[3], il n’y a malheureusement que les deux extrêmes de la société qui aient conservé leur organisation nationale : d’un côté le tsar autocrate, de l’autre le peuple communiste. M. de Gerebtzof semble ignorer que le peuple communiste maintient l’autocratie du pouvoir, et ce qu’il prend pour des symptômes d’une organisation nationale n’est que le reflet fidèle de l’enfance sociale. Le communisme russe, c’est la communauté primitive, d’où les autres nations sont successivement sorties pour grandir, pour accroître leur richesse et leur puissance, et pour conquérir la liberté. Cette forme rudimentaire s’est conservée en Russie parce que l’invasion tartare n’a pas permis à ce pays de

  1. Le plus grand nombre des enfans meurt dans l’âge le plus tendre; le tiers à peine parvient à l’âge adulte. Haxthausen, tome Ier, p. 117.
  2. Michelet, Légendes du Nord, p. 39.
  3. Les Trois Questions du moment, par Nicolas de Gerebtzof, p. 66.